Après la prise de Mekele, dans le nord de l'Éthiopie, le week-end dernier, le Premier ministre Abiy Ahmed a revendiqué la victoire sur les rebelles du Tigré alors que le TPLF assure que les combats continuent. La zone reste inaccessible. Les humanitaires s'inquiètent du sort des civils. Ils sont aujourd'hui plus de 43 000 réfugiés à avoir rejoint le Soudan.
"Je veux qu'ils m'entendent", a lancé le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed devant les élus de la Chambre basse du Parlement, lundi 30 novembre, en s'adressant aux forces du Front de libération du Peuple du Tigré (TPLF), au surlendemain de la victoire militaire proclamée sur Mekele, au nord de l'Éthiopie. "Dimanche soir, vers minuit, nous voyions depuis la salle de crise de l'agitation dans la zone qui va de Hagere Selam à Abiy Addi", deux localités situées à une cinquantaine de kilomètres à l'ouest de Mekele", a-t-il ajouté pour montrer qu'ils étaient dans la ligne de mire de l'armée.
"Nous ne les avons pas attaqués de nuit parce qu'ils ont emmené avec eux dans leur retraite leurs épouses, leurs enfants et nos soldats capturés (...). Mais cela ne va pas continuer", a-t-il expliqué aux élus de la Chambre des représentants du Peuple (chambre basse du Parlement).
"Les combats se poursuivent"
Prix Nobel de la paix en 2019 devenu chef de guerre, Abiy Ahmed a envoyé l'armée au Tigré (Nord) le 4 novembre pour remplacer par "des institutions légitimes" les autorités régionales qui défiaient depuis des mois l'autorité de son gouvernement.
De son côté, le président du Tigré, Debretsion Gebremichael, a déclaré au téléphone à l'AFP être déterminé à rester dans la région pour affronter "les envahisseurs", assurant que "les combats se poursuivaient". Il a accusé le Premier ministre éthiopien de "tenter de tromper la communauté internationale en faisant croire que tout est terminé".
Le blackout quasi-total au Tigré depuis le début du conflit rend difficile la vérification indépendante des informations de l'un et l'autre camp. Depuis samedi, l'AFP n'a pu joindre les dirigeants tigréens. Le TPLF prétend représenter la minorité tigréenne (6 % des 110 millions d'Éthiopiens).
43 000 réfugiés au Soudan dans des camps insalubres
Aucun bilan précis de près de quatre semaines de conflit n'est jusqu'ici disponible mais l'International Crisis Group (ICG) a évoqué vendredi "plusieurs milliers de morts dans les combats" dont "de nombreux civils". Au total, plus de 43 000 Éthiopiens ont fui le Tigré vers le Soudan voisin, dans des camps insalubres ayant un accès difficile à l'eau et à la nourriture, et des installations sanitaires insuffisantes.
80% d'entre eux sont des agriculteurs qui ont été contraints d'abandonner précipitamment leurs champs alors que le sésame et le sorgho n'étaient pas encore récoltés. Beaucoup espèrent un retour à la normale bientôt au Tigré, pour reprendre leur vie d'avant.
Rentrer à tout prix
"J'adore l'Éthiopie. J'y ai laissé ma mère âgée et ma ferme. Si la guerre cesse, je reviendrai immédiatement", déclare à l'AFP Bergha Mongosto, au centre de transit "Village 8", près de la frontière. Drajo Germaya, hébergé par une famille soudanaise dans la ville frontalière de Hamdayit, est déterminé à rentrer quelle que soit l'issue des combats : "J'ai une ferme à Mai-Kadra (au Tigré) et je ne veux pas vivre dans un camp de réfugiés", déclare-t-il. "Quand je rentrerai en Éthiopie, (...) ce sera la vie ou la mort là-bas".
Mais certains, se disant marginalisés, affirment n'avoir d'autre choix qu'une vie ailleurs. "C'est très difficile ici mais je ne retournerai jamais au Tigré. Rentrer n'est pas une option", confie Dagaf Abraha, de l'ethnie tigréenne, après son transfert au camp de réfugiés d'Oum Raquba, à environ 80 km de la frontière. "Le gouvernement d'Abiy Ahmed ne veut pas de l'ethnie tigréenne en Éthiopie", dit-il.
Lundi, Abiy Ahmed a promis que les réfugiés au Soudan pourraient rentrer rapidement en Éthiopie, alors que certains ont confié à l'AFP sur place avoir peur de rentrer au Tigré sous contrôle des forces gouvernementales.
Possibles "crimes de guerre"
La communauté internationale s'est maintes fois inquiétée des conséquences pour les civils de l'opération militaire, l'ONU évoquant de possibles "crimes de guerre", mais Abiy Ahmed a assuré lundi que l'armée n'avait fait aucune victime civile en prenant le contrôle de Mekele et d'autres villes tigréennes.
"Mekele est à nous", Éthiopiens, "nous n'allons pas la détruire", a souligné le Premier ministre, affirmant que "pas une seule personne n'a été blessée lors de l'opération à Mekele". Il a nié les affirmations des autorités tigréennes selon lesquelles les frappes aériennes avaient tué de nombreux civils, assurant que "99 % (des projectiles) ont touché leur cible, et 99 % n'ont pas causé de dommages collatéraux".
"Quand nous avons un doute, nous ne tirons pas. Surtout la nuit. Parce que nous ne voulons pas tuer des enfants, ce sont les nôtres", a-t-il expliqué.
Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a rapporté dimanche que les hôpitaux de Mekele, où manquent matériel et médicaments, étaient submergés par les blessés, 24 heures après l'annonce de la prise de la ville, sans préciser si ces blessés étaient militaires ou civils.
Avec AFP