Avec la prise de Mekele, capitale du Tigré, des mains des insurgés du TPLF, le Premier ministre éthiopien a proclamé samedi la victoire du gouvernement sur la province rebelle. Mais ces derniers n’ont pas dit leur dernier mot : des tirs de roquettes provenant du Tigré ont retenti en Érythrée, relançant les craintes d’un embrasement régional.
Une étape décisive a été franchie en Éthiopie. Après quatre semaines de conflit armé entre le pouvoir central et les forces insurrectionnelles du Tigré, le Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, a annoncé dans un tweet posté le 28 novembre que les opérations militaires dans la région dissidente du nord du Pays, le Tigré, étaient terminées et que les forces armées contrôlaient totalement la ville de Mekele, mettant fin à une guerre qui a bouleversé la Corne de l'Afrique.
I am pleased to share that we have completed and ceased the military operations in the #Tigray region.
Our focus now will be on rebuilding the region and providing humanitarian assistance while Federal Police apprehend the TPLF clique. #EthiopiaPrevails https://t.co/WrM2BAPCD6
Est-ce à dire que les combats qui faisaient rage depuis le 4 novembre appartiennent désormais au passé ? Ce n'est en tout cas pas l'avis du leader des forces rebelles, Debretsion Gebremichael. "La brutalité de ces envahisseurs ne peut que renforcer notre résolution de les combattre jusqu'à la fin", a assené le leader du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF) dans un message à Reuters. À la question de savoir si cela signifiait que ses troupes poursuivraient les combats, il a répondu : "Certainement. Il s'agit de défendre notre droit à disposer de nous-mêmes."
Tout savoir sur l'ancien combattant et ancien ministre Debretsion Gebremichael qui mène désormais la lutte contre le gouvernement #ethiopie #tigréhttps://t.co/0fCs8levYl
— BBC News Afrique (@bbcafrique) November 23, 2020Les poursuites des combats en question
Addis-Abeba n'a pas répondu dans l'immédiat. Dans un communiqué, le Premier ministre s'est contenté d'indiquer que la police était encore à la recherche des leaders rebelles. "Les forces de police maintiendront leurs efforts pour appréhender les criminels du TPLF et les amener devant la justice."
À ce stade, "les bombardements intenses qui se sont produits sur Mekele, laissent penser que les forces tigréennes ont décidé de quitter la ville et de poursuivre leurs résistances par d'autres moyens, estime William Davison, journaliste britannique spécialiste de l'Éthiopie, contacté par France 24. Mais à ce jour, nous ne connaissons ni les intentions des forces tigréennes, ni leurs capacités de combat".
Il demeure en effet extrêmement difficile de vérifier les positions d'un camp ou de l'autre étant donné que tous les accès téléphoniques et Internet à la région étant coupés, et que les accès faisant l'objet d'un contrôle étroit depuis le début des combats entre les forces gouvernementales et le TPLF.
Crise humanitaire
Une chose est sûre, en se retirant "dans les montagnes pour poursuivre le combat, les rebelles ont épargné les populations civiles de la capitale et cela est très important, souligne Marc Lavergne, spécialiste de la Corne de l'Afrique et directeur de chercheur du CNRS. La rapidité de la victoire des forces gouvernementales est un signe assez rassurant pour la population qui n'a pas eu à subir trop de dommages humains ni matériels."
Il n'empêche qu'une crise humanitaire sévit déjà au Tigré où plus d'un million de personnes ont été déplacées au sein même de la région. "Il y a une pénurie de nourriture et de médicaments, d'essence et autre produit de première nécessité, explique Maria Gerth-Niculescu, correspondante France 24 à Addis-Abeba. Le gouvernement affirme avoir commencé à distribuer de la nourriture dans les zones contrôlées par l'armée nationale et qu'une route d'accès humanitaire va être établie sous la supervision du ministère de la Paix et en coopération avec les agences onusiennes. Aucune date n'a cependant été arrêtée et les ONG ne peuvent toujours pas se rendre dans la région."
Objectif d'Addis-Abeba : marginaliser le TPLF sans humilier les Tigréens
Le sort des populations réfugiées au Soudan demeure tout aussi problématique. Les réfugiés ne devraient pas tout de suite regagner l'Éthiopie, à en croire Marc Lavergne. "Il ne faut pas croire que les gens de Mekele ou ceux qui habitent les montagnes ont eu les moyens de traverser des centaines de kilomètres pour rejoindre les frontières soudanaises, indique le chercheur français. Les Tigréens qui ont fui au Soudan sont des populations qui ont été installées près des frontières il y a assez peu de temps. […] La question de leur retour devrait donc se faire, non pas des zones d'où ils sont partis, mais dans l'intérieur du Tigré historique, qui n'est pas encore pacifié."
Pour l'heure, on ignore l'issue que va prendre le conflit. "L'intention d'Abiy Ahmed n'est pas de mettre le Tigré à feu et à sang, abonde Marc Lavergne. Son projet est de restaurer l'État central tout en respectant les régions et préservant la fédération ethnique qui a longtemps été dominée par les Tigréens. Il s'agit maintenant pour lui de marginaliser ou faire disparaître le Front populaire de libération du Tigré, sans opprimer ni humilier la population du Tigré qui constitue un élément essentiel de la composante générale de l'Éthiopie."
Un embrasement régional ?
On estime que des milliers de personnes sont mortes pendant les combats et que près de 44 000 réfugiés ont fui vers le Soudan. Et le conflit ne semble pas terminé. Il a réveillé dans son sillage les craintes d'une possible montée des violences avec l'Érythrée, voisine de l'Éthiopie et ennemie juré du TPLF. D'ailleurs, samedi soir, Asmara [capitale de l'Érythrée], a été pour la troisième fois la cible de tirs de roquettes provenant du Tigré, ont constaté des sources diplomatiques américaines. Le TPLF qui avait revendiqué le premier tir, accusant l'Érythrée de prêter main-forte à l'armée éthiopienne, n'a pas revendiqué les deux derniers assauts. L'Éthiopie et l'Érythrée n'ont pas réagi.
De sombres perspectives qui pourraient définitivement ternir la réputation d'Abiy Ahmed, auréolé, il y a à peine plus d'un an, de son prix Nobel de la Paix. Pour l'heure, le Premier ministre éthiopien, tente de garder la face. "Le gouvernement se défend d'avoir eu des intentions belliqueuses, conclut William Davison sur l'antenne de France 24. Pour le pouvoir central, ce sont les Tigréens qui sont responsables de la guerre, pas eux."