Les récents actes de violences commis par des policiers, qui s'ajoutent à la très controversée loi sur la "Sécurité globale", mettent Gérald Darmanin sous le feu des critiques, jusque dans les rangs de la majorité. Le ministre de l'Intérieur devient-il embarrassant pour Emmanuel Macron ? Pas si sûr.
Les dossiers gênants s'accumulent sur le bureau de Gérald Darmanin. Après la très controversée loi sur la "Sécurité globale", portant sur la diffusion de l'image des forces de l'ordre, et le démantèlement musclé d'un camp de migrants lundi soir place de la République, voilà qu'une nouvelle affaire de bavure policière vient empoisonner les affaires de la place Beauvau.
Les images publiées par le site Loopsider montrant un homme noir subissant une volée de coups assénés par des policiers samedi dans l'entrée d'un studio de musique à Paris, ont fait le tour des réseaux sociaux et enflammé l'aile gauche de la classe politique. Et même au-delà. Certaines stars du football, comme Antoine Griezmann ou Kylian Mbappé, sont sortis de leur réserve habituelle pour exprimer leur colère sur les réseaux sociaux.
C’est une nouvelle pièce que nous apportons au dossier de l’agression de Michel Zecler.
Cette vidéo d’un voisin montre sous un autre angle l’agression et sa violence inouïe.
« Ils auraient pu le tuer. » pic.twitter.com/G60NtRNnC9
Gérald Darmanin, pompier pyromane ?
Sous le feu des critiques, il fallait bien un passage au 20 heures de France 2 à Gérald Darmanin pour éteindre les flammes et donner des gages de fermeté à l'endroit des policiers mis en cause. Au cours d'un périlleux exercice d'équilibriste, Gérald Darmanin a donc, d'un côté, assuré l'institution policière de son soutien et condamné, de l'autre, les agents qui dérapent. "Lorsqu'il y a des gens qui déconnent, ils doivent quitter l'uniforme, a indiqué le ministre dans un langage que Nicolas Sarkozy n'aurait pas renié. Ils doivent être sanctionnés. Ils doivent quitter ce travail. Ils doivent être punis par la justice", a assené le premier flic de France. Pas sûr que l'annonce jeudi de la suspension à titre conservatoire des quatre policiers mis en cause dans ce dossier ne suffise à calmer l'indignation générale. "Chaque jour confirme un peu plus l'inacceptable, tempête de son côté David Belliard, adjoint à la mairie de Paris, sur Twitter. Il n'est plus l'heure de complaisances d'aucune sorte avec les violences policières. Le préfet Lallement et le ministre Darmanin doivent démissionner."
???????? Anne Sophie Lapix face à #Darmanin :
"- est-ce qu'il (Lallement) doit démissionner ?
- (ministre) moi je suis pas homme qui cherche des fusibles ou des boucs émissaires (...)
- et vous, vous avez songé à démissionner ?
-..."#violencespolicierespic.twitter.com/CdnaeOGPg3
Dans ce contexte, Gérald Darmanin ne devient-il pas trop encombrant au sein de la Macronie ? "Il est encore tôt pour le dire, mais d'un point de vue très stratégique, voire cynique, à l'heure où Emmanuel Macron cherche à séduire son électorat de droite, Gérald Darmanin incarne mieux que Castaner ce volet sécuritaire qui faisait défaut au président jusque-là, estime Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l'université Paris II Panthéon-Assas, dans un entretien à France 24. Il n'a donc aucune raison de s'en séparer. Même si ces questions irritent l'aile gauche de son électorat."
Emmanuel Macron "choqué"
Et l'universitaire de poursuivre, "avec la crise économique qui s'est installée en France à la suite de la pandémie, Emmanuel Macron ne peut plus s'appuyer sur un bon bilan économique pour être réélu. Il n'a d'autre choix que d'investir pleinement le versant sécuritaire". De récentes enquêtes d'opinion portant sur l'article 24 de la loi sur la "Sécurité globale" montrent d'ailleurs que la majorité de l'électorat de droite soutient majoritairement le contenu du texte.
Pour rassurer ces derniers échaudés, rien de tel qu'une convocation du ministre de l'Intérieur à l'Élysée. "C'est une bonne opération qui lui permet à la fois au président de faire œuvre d'autorité devant son électorat de droite et de s'afficher en défenseur des libertés devant son aile gauche", poursuit le politologue. Se tenant à l'écart jusque-là, Emmanuel Macron est même allé jusqu'à sortir de son silence vendredi et se dire "très choqué" par les images du tabassage.
Emmanuel Macron a été "très choqué" par la vidéo montrant des policiers frappant un homme noir à Paris, a indiqué l'Élysée, une première réaction officielle du chef de l'État sur cette affaire #AFP pic.twitter.com/ZaiWQjWYN1
— Agence France-Presse (@afpfr) November 27, 2020Afin de calmer un peu plus les ardeurs d'une majorité remontée, Gérald Darmanin doit encore être entendu lundi devant la commission des Lois de l'Assemblée sur ces récentes violences, ainsi que sur l'évacuation sans ménagement du camp de migrants de la place de La République.
La réputation de la France entamée sur la scène internationale
Il n'empêche que ces dérives sécuritaires agacent de plus en plus au sein de la majorité, jusqu'au gouvernement. Après leur désaccord sur l'emploi du terme "ensauvagement", le ministre de la justice, Éric Dupond-Moretti, a pris une nouvelle fois ses distances avec son homologue de l'Intérieur, en se disant "scandalisé par ces images" et a reconnu que, sans elles, "on n'aurait pas connu" cette affaire. "Il faut filmer", a-t-il conclu, en évitant soigneusement de commenter l'article 24, dont la constitutionnalité-même est mise en doute par nombre de juristes.
L'épineux article 24 de la loi sur la "Sécurité globale" est parvenu, en quelques jours, à braquer la majorité, fragiliser la solidarité gouvernementale et opposer le Premier ministre au président de l'Assemblée nationale. "Bien plus que l'affaire des violences policières, l'article 24 risque d'embraser la majorité parlementaire et de faire naître une crise politique majeure", estime Benjamin Morel.
Reste qu'au-delà de ces préoccupations internes, les équipes du président se montrent très inquiètes des dégâts provoqués à l'international par ces différentes séquences sécuritaires, rapporte Le Monde. La France a déjà été sermonnée par trois rapporteurs du Conseil des droits de l'Homme de l'ONU au sujet de la proposition de loi. Une publicité dont Paris se passerait bien, à l'heure où la France défend le conditionnement du plan de relance européen et entend donner des leçons sur le respect de l'État de droit à la Hongrie et à la Pologne.