
À six mois de la présidentielle iranienne, la victoire de Joe Biden aux États-Unis pourrait influencer le vote en Iran, où l'espoir d'une reprise des négociations sur le nucléaire iranien et l'allègement des sanctions suscitent l'enthousiasme au sein du camp modéré et chez une partie des conservateurs.
Les Iraniens attendaient avec impatience les résultats de l’élection présidentielle américaine du 3 novembre. Ils n’ont pas été déçus. Après quatre années de politique de "pression maximale" de l'administration Trump vis-à-vis de l'Iran, la victoire de Joe Biden pourrait ouvrir la voie à des relations diplomatiques plus apaisées. Elle permet d’envisager un allègement des sanctions américaines contre Téhéran.
Le démocrate, qui a entamé la transition alors que Donald Trump refuse toujours de reconnaître sa défaite, avait déjà indiqué son intention de s'engager sur une "voie crédible pour retourner à la diplomatie" avec Téhéran s'il accédait à la présidence. Il avait également évoqué la possibilité de revenir à l'accord conclu en 2015 sous la présidence de Barack Obama, dont il était le vice-président.
En Iran, beaucoup pensent que la victoire de Joe Biden aura des conséquences sur l'avenir de leur pays, qui s'apprête à se choisir un nouveau président en mai prochain. L’actuel détenteur du poste, l'iranien Hassan Rohani, élu à deux reprises en 2013 et 2017, devra laisser sa place. Le retour d’un démocrate à la Maison Blanche pourrait avantager le camp modéré iranien, ouvertement en faveur d’un dialogue avec les États-Unis.
“Le timing est serré”, relève Thierry Coville, chercheur à l’Iris. “L’élection iranienne a lieu en mai et Joe Biden ne sera investi qu’en janvier si tout va bien”. Un court laps de temps qui rend improbable, avant le scrutin, un rétablissement de l'accord sur le nucléaire iranien, dont Donald Trump est sorti en mai 2018. “Mais si toutefois les États-Unis et l’Iran commencent ne serait-ce qu’à négocier, les électeurs iraniens y verront la possibilité d'un accord. Cet espoir pourrait influencer le vote et renforcer le camp modéré, partisan officiel d’un accord ”, analyse le spécialiste de l’Iran.
"Une occasion de réparer les erreurs du passé"
Depuis le rétablissement des sanctions par Washington, le pays est frappé par une sévère crise économique, aggravée par la pandémie de Covid-19, dont l’Iran est une des principales victimes au Moyen-Orient avec plus de 37 000 morts officiellement recensés. Le camp modéré, qui avait parié sur une relance de l’économie et le dialogue avec les États-Unis, a perdu de sa légitimité auprès de la population.
Aussi, le résultat du scrutin américain pourrait cependant "atténuer l'opinion négative à l’égard de Rohani", a estimé dans la presse iranienne l’une des figures des réformateurs, l'ancien député Mahmoud Sadeghi. D’autres observateurs espèrent par ailleurs que l’élection de Joe Biden aura au moins un effet sur la participation à la présidentielle de mai 2021.
La victoire du démocrate a d’ores et déjà été saluée par Hassan Rohani, qui a déclaré que le changement de direction serait "une occasion pour le prochain gouvernement américain de réparer les erreurs du passé", tandis que son ministre des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, a tweeté : "Le monde regarde si les nouveaux dirigeants vont (...) accepter le multilatéralisme, la coopération et le respect du droit".
The American people have spoken.
And the world is watching whether the new leaders will abandon disastrous lawless bullying of outgoing regime—and accept multilateralism, cooperation & respect for law.
Deeds matter most
Iran's record: dignity, interest & responsible diplomacy.
Méfiance et enthousiasme à Téhéran
Au lendemain des résultats donnant Joe Biden gagnant, Téhéran a souligné qu'un potentiel retour de Washington dans le traité sur le nucléaire devrait toutefois s'accompagner de compensations pour les dommages causés et d'une "garantie" qu'un retrait ne se reproduirait pas. C’est déjà ce qu’avait fait savoir Mohammad Javad Zarif dans un précédent tweet envoyé bien avant la victoire de Joe Biden. “Le ministre iranien des Affaires étrangères parle avec l'accord du Guide suprême, ce qui signifie qu’Ali Khamenei ne serait pas contre un accord, mais pas sans contreparties sérieuses”, analyse Thierry Coville.
Officiellement, le Guide suprême avait tout de même tenu à rappeler avant même le résultat de l’élection que l'"inimitié" avec les États-Unis se poursuivrait, quel que soit le futur locataire de la Maison Blanche. Mais les positions des proches d'Ali Khamenei sont loin d'être uniformes. Même ces derniers répètent que tous les dirigeants américains sont fondamentalement les mêmes, des signes d’enthousiasme se sont fait sentir, y compris dans le camp des radicaux iraniens. À titre d'exemple, la presse iranienne rapporte qu'un ancien ministre de l'Intérieur, Mostafa Pourmohammadi, a qualifié la défaite de Trump d'"aide divine" pour son pays.
No matter who wins the #USElections2020, it won't affect our policy toward the US. Some people talk about what will happen if this or that one is elected. Yes, certain events may happen but they don’t concern us. Our policy is calculated and clear.
— Khamenei.ir (@khamenei_ir) November 3, 2020Retour des Iraniens à la table des négociations
La tâche s’annonce ardue pour la future équipe diplomatique de Joe Biden. Les États-Unis vont devoir regagner la confiance flouée des membres les plus durs du régime iranien, notamment celle des Gardiens de la révolution. Or ces derniers ne pardonnent pas l’assassinat du général Qassem Soleimani en début d’année par un raid américain en Irak.
“Dans un premier temps, l’un des scénarios possibles pour la future administration américaine serait d’autoriser l’achat de pétrole iranien et la vente des médicaments de lutte contre le Covid-19 à l’Iran. Je vois mal Téhéran refuser, la situation économique étant catastrophique dans le pays”, explique Thierry Coville. Cela pourrait finir de convaincre Téhéran de retourner à la table des négociations. “Sans compter qu’une partie de l’équipe d’Obama, dont des personnalités du département d’État qui avaient négocié l’accord de 2015, va revenir aux manettes. Ce sont des partisans d’une politique ‘à petit pas’ avec l’Iran”, poursuit le chercheur.
Certains médias en Iran ont ouvertement exprimé l'espoir qu'une personnalité comme John Kerry, qui a été le chef de la diplomatie américaine de 2013 à 2017 et a finalisé la signature de l’accord sur le nucléaire avec Mohammad Javad Zarif, puisse maintenant occuper le poste de conseiller à la Sécurité nationale de Joe Biden.
La possibilité d'un tout nouvel accord
Reste que les quatre années de la présidence Trump sont passées par là et la situation a fortement évolué. L’Iran s’est affranchi de la plupart de ses obligations prévues par l’accord de Vienne avec un stock d’uranium enrichi aujourd'hui presque huit fois supérieur à la limite autorisée. Sur le plan balistique, l'embargo de l'ONU sur les ventes d'armes conventionnelles à l'Iran a par ailleurs expiré.
Sur le plan politique intérieur, Joe Biden devra justifier un éventuel allègement des sanctions auprès de l'opinion américaine, de la frange la plus hostile à l’Iran au sein de son propre parti et surtout face à un Congrès probablement encore dominé par les républicains.
Dans ces conditions, un second scénario pourrait être envisagé, celui d’un nouvel accord, plus large - nucléaire et balistique. Les États-Unis pourraient se servir de la situation de faiblesse économique dans laquelle se trouve l’Iran pour lui imposer cet accord.
Si le ton de l'administration américaine à l'égard de Téhéran devrait changer en 2021, le vieil objectif de Washington de contrer l'influence iranienne au Moyen-Orient et de dénucléariser le pays devrait, lui, rester une priorité.
Avec AFP