Lors de sa campagne, le démocrate Joe Biden avait promis en cas de victoire le retour immédiat des États-Unis dans l’Accord de Paris, assorti d'un plan climatique. Mais celui-ci est déjà contesté par l'aile gauche de son propre camp, qui souhaite repartir sur de nouvelles bases plus contraignantes.
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La communauté des défenseurs du climat a exprimé son profond soulagement après l'élection de Joe Biden, y voyant un espoir pour la planète malgré les réformes titanesques à mettre en oeuvre pour limiter les impacts dévastateurs du réchauffement. "La victoire historique de Joe Biden est la première étape pour éviter la catastrophe climatique", a ainsi commenté sur Twitter la directrice exécutive de Greenpeace, Jennifer Morgan.
Elle espère qu'il sera "le champion" de la cause environnementaliste lors de son mandat qui doit débuter le 20 janvier 2021. Car le candidat démocrate s'est engagé lors de sa campagne à faire de la lutte contre le réchauffement climatique une priorité. Il a ainsi promis le 4 novembre, jour de sortie officielle de Washington de l'Accord de Paris sur le climat, que "dans exactement 77 jours, une administration Biden le rejoindra".
Today, the Trump Administration officially left the Paris Climate Agreement. And in exactly 77 days, a Biden Administration will rejoin it. https://t.co/L8UJimS6v2
— Joe Biden (@JoeBiden) November 5, 2020Une fois investi, Joe Biden sera en capacité de signer un décret permettant l'application immédiate de ce pacte mondial, adopté par 187 autres pays. En juin 2017, Donald Trump avait annoncé le retrait des États-Unis, deuxième plus grand émetteur de gaz à effet de serre au monde, derrière la Chine.
Prendre le leadership de la lutte contre le changement climatique
Le candidat démocrate a également dévoilé un plan climatique à 1 700 milliards de dollars pour mettre fin aux émissions de carbone d'ici à 2035. Basé sur la production d'énergie propre et la création d'emplois verts, ce plan marque un tournant avec la stratégie de Donald Trump, soutient indéfectible des industries fossiles. Enclin aux théories niant le changement climatique, le président américain leur a offert une publicité mondiale, tout en s'attachant à réduire les mesures de protections environnementales dans son propre pays.
La signature par Washington de l'accord de Paris pourrait redonner de l'impulsion à la lutte contre le réchauffement climatique et offrir aux États-Unis un rôle de leadership sur les questions environnementales.
Mais y parvenir ne sera pas simple. Non seulement les États-Unis devront regagner la confiance pour restaurer leur position internationale, mais Joe Biden devra aussi lutter contre les dissidences dans son propre camp, au sein duquel les activistes du changement climatique voudraient aller plus loin et plus vite, en adoptant notamment un Green New Deal (Nouvelle donne verte). C'est le nom donné par l'aile la plus à gauche du parti démocrate, soutien de Bernie Sanders, à son programme de transition écologique et de justice sociale, bien différent du plan Biden.
La fraction hydraulique : point de rupture avec l'aile gauche démocrate
Celui-ci favorise plutôt la justice environnementale pour la réduction des inégalités face au réchauffement climatique et aux pollutions. À la grande différence du plan du candidat démocrate, le Green New Deal n'encourage pas la technique controversée de la fraction hydraulique, qui consiste à extraire du pétrole et des gaz emprisonnés dans le sous-sol en y injectant des fluides à forte pression. Or Joe Biden ne souhaite pas l'arrêt de cette technique controversée, tout en réclamant une réglementation sur le sujet, car elle emploie des dizaines de milliers de travailleurs américains. La fraction hydraulique représente 35 % de la production énergétique des États-Unis.
Pour le Sunrise Movement – à l'origine du Green New Deal – le plan de Biden n'est pas à la hauteur. Ce groupe de jeunes militants luttant contre le changement climatique a obtenu le soutien de la représentante du Congrès Alexandria Ocasio-Cortez et d'autres démocrates. Ses militants ont d'ores-et-déjà attribué la note "F" au plan Biden et ils ont prévenu : ils lui demanderont des comptes en menant une "campagne de plusieurs mois" pour faire du changement climatique une vraie priorité nationale.
Pretty cool that @JoeBiden’s most confident statement yet about being the next President of the United States is about Day 1 action to address the climate crisis.
Biden has a climate mandate, and our movement will make sure he acts on it. https://t.co/T0QheeM64k
Au sein du camp démocrate, le Green New Deal est soutenu par une nouvelle génération d'électeurs, tout comme le mouvement Sunrise, déterminée à faire pression pour une réforme plus radicale. Ces nouveaux militants souhaitent une décarbonisation rapide et une interdiction de la production de pétrole et de gaz.
Aussi la manœuvre est délicate pour les Démocrates américains qui tentent à la fois d'apaiser les voix réclamant un déploiement urgent de réformes vertes, tout en rassurant l'opinion publique sur le risque de licenciements massifs en cas d'arrêt de diminution de la production industrielle pétrolière et gazière.
L'ambiguïté se fait entendre jusqu'aux allocutions du candidat Biden. Lors d'un des débats télévisés avec Donald Trump, le démocrate a ainsi déclaré qu'il était pour une "transition" de l'industrie pétrolière vers des énergies renouvelables, avant de modifier son discours en précisant qu'il empêcherait seulement les fonds gouvernementaux d'être versés à l'industrie pétrolière. "Nous n'allons pas nous débarrasser des énergies fossiles. Nous allons nous débarrasser des subventions pour les énergies fossiles", a-t-il précisé.
Des millions d'emplois menacés
Autre difficulté pour l'ancien vice-président américain : il risque d'être paralysé par un Congrès peu enclin à soutenir une réforme majeure, qui pourrait avoir un impact sur l'industrie du pétrole et du gaz, à un moment où l'économie est déjà malmenée par la pandémie de Covid-19.
Les États-Unis sont le premier producteur mondial de pétrole et de gaz, avec un secteur qui emploie quelque 10 millions d'Américains. Les craintes de pertes d'emplois causées par une transition vers des énergies plus vertes ont été alimentées dans l'opinion publique américaine, sensible aux discours de Donald Trump. Mais ce récit va à l'encontre des réalités économiques de l'ère Trump.
Malgré ses efforts pour relancer l'industrie du charbon, cette dernière a été affaiblie sous sa présidence. Davantage de points d'extraction ont été fermés sous le mandat de Donald Trump que pendant le second mandat de l'ancien président Barack Obama. Quant aux énergies renouvelables, elles ont atteint des niveaux records de production et de consommation en 2019.
Rapprochement avec Pékin
Enfin, une transition rapide vers des énergies vertes aux États-Unis, signifierait de facto un rapprochement avec la Chine, de qui dépend le pays pour l'approvisionnement en minéraux. Or certains de ces minéraux sont essentiels pour les énergies renouvelables comme l'énergie solaire et éolienne. Joe Biden devra donc rétablir la confiance entachée par la relation tumultueuse de Donal Trump avec Pékin.
Si les États-Unis réintègrent le pacte de Paris, ils devront aussi rattraper leur retard sur les autres nations qui se sont déjà engagées et ont commencé à réduire leurs émissions en se dirigeant vers la neutralité carbone. Ajoutez à cela la bataille interne que devra mener Joe Biden pour faire adopter ses réformes sur le changement climatique auprès du Congrès. Dans ces conditions, le changement de cap en matière de politique environnementale pour le nouveau président sera sans aucun doute un combat difficile à mener, qui nécessitera un engagement conséquent de sa part.
Pour retrouver l'article dans sa version originale "Biden could face a ‘Green divide' if he wins the US election", cliquez ici.