
Le très populaire groupe Facebook pro-Trump "Stop the Steal" a été interdit, jeudi, par le réseau social après seulement un jour d’existence. Mais cela a suffit à ces militants républicains pour mettre en place une formidable machine pour contester les résultats de l’élection présidentielle américaine qui placent en tête le candidat démocrate Joe Biden. Parfois même de manière violente.
Ce sont 24 heures qui ont démontré l'incroyable capacité du camp pro-Trump a organiser le chaos en ligne à travers un seul groupe Facebook, 24 heures qui ont illustré les limites des garde-fous mis en place par le réseau social pour contrer la propagation de la désinformation au sujet de l'élection présidentielle américaine du 3 novembre.
Le groupe "Stop the Steal" (Arrêtez le vol [de l'élection]) est apparu mercredi 4 novembre avec comme seul contenu une vidéo montrant des manifestants pro-Trump, à l'extérieur d'un bureau de vote à Détroit, exigeant à corps et à cri l'interruption du décompte des bulletins sous le prétexte que les démocrates tenteraient de tricher pour gagner.
Cent nouveaux membres toutes les dix secondes
Le lendemain, ce groupe entrait dans les annales de Facebook en franchissant la barre des 360 000 membres. "Stop the Steal" devenait l'une des communautés dont la popularité avait augmenté le plus rapidement de l'histoire du réseau social. "À un moment donné, il y avait cent nouveaux membres toutes les dix secondes", raconte le New York Times qui a suivi la courte et très tumultueuse vie de ce groupe de fervents adeptes du président sortant.
Mais ce succès n'était pas du goût des responsables de Facebook. Il ont décidé d'interdire "Stop the Steal" un jour seulement après sa création. Trop de désinformation au sujet de l'élection présidentielle, trop d'incitations à la violence.
Il faut dire que ce groupe offrait un condensé de toutes les outrances de Donald Trump et de ses partisans depuis que l'horizon électoral s'est assombri pour eux. Les remises en cause des résultats dans les États perdus de justesse par le président sortant ont fleuri sur ce groupe, tout comme les accusations lancées contre les démocrates d'avoir eu recours à la fraude, comme faire voter les morts pour remporter le scrutin dans des États clés, tel que le Pennsylvanie. Chacun de ses messages attiraient des milliers de "Like" et de partages, permettant à ses rumeurs infondées de gagner en viralité, même en dehors des murs de "Stop the Steal".
Débordements violents
Mais les membres de ce groupe ne se contentaient pas d'amplifier sur les réseaux les déclarations à la véracité contestable de Donald Trump et de ses proches, comme Rudy Giuliani [l'un de ses avocats], ou son fils Eric Trump. "Stop the Steal" a aussi servi de caisse de résonance à certaines théories du complot à ce point insensées que même l'entourage du président n'a pas (encore) osé les reprendre à son compte.
C'est le cas, par exemple, du "SharpiGate", une thèse folle selon laquelle des démocrates dans certains États contestés ont incité les électeurs républicains à utiliser des marqueurs pour remplir leur bulletin de vote en sachant que ces stylos ne sont pas autorisées… Rien dans cette théorie ne tient la route : les "sharpies" ne sont pas interdits, et il n'y a pas eu de "trafic sous le manteau" de marqueurs à l'entrée des bureaux de vote.
Le "Sharpiegate", aussi insensé soit-il, a déjà eu de dangereuses conséquences dans le monde réel. Des hommes armés se sont rassemblés, jeudi, à l'extérieur d'un bureau de vote en Arizona en réclamant de vérifier par eux-même si des marqueurs n'avaient pas été distribués aux électeurs, raconte le Washington Post.
Une opération très organisée
Ce sont ces incitations à des comportements violents contenus dans plusieurs messages postés sur "Stop the Steal" qui ont fini par convaincre Facebook de sévir. Outre le "sharpiegate", des utilisateurs de ce groupe promettaient aussi de montrer à leurs "amis libéraux" qu'ils savaient se servir de fusils automatiques, tandis que d'autres soulignaient qu'il ne servait plus à rien de discuter avec les démocrates et que le temps de la "guerre civile" était venu.
La trajectoire fulgurante de ce groupe Facebook démontre la vitesse à laquelle les agitateurs du camp Trump peuvent mobiliser cette frange de l'électorat du président qui est prête à en découdre, note le site Mother Jones. Car "Stop the Steal" n'a pas été fondé par un quelconque illuminé de la cause trumpienne. C'est l'aboutissement d'une action très coordonnée entre des agitateurs politiques proches des premiers cercles du clan du président sortant, souligne le Washington Post.
À l'origine, ce groupe a été crée par Kylie Jane Kremer, une militante républicaine qui dirige avec sa mère, Amy Kremer, Women for America First, un groupe de femmes conservatrices qui soutiennent Donald Trump. Ces deux femmes sont des soutiens de la première heure de l'actuel président et ont participé, en 2016, à la création de l'un des premiers Super Pac (comité de soutien politique chargé de récolter des fonds de campagne) pour soutenir la candidature de Donald Trump.
Une fois "Stop the Steal" établi, plusieurs "influenceurs" républicains ont pris le relais pour prêcher la bonne parole de ce groupe et recruter des nouveaux membres. C'est le cas de Jack Posobiec, un activiste pro-Trump connu pour être passé maître dans l'art de populariser des théories de complot (il a, notamment, été l'un des premiers à faire circuler les "MacronLeaks" à la veille de la présidentielle française de 2017). Steve Bannon, l'ancien stratège en chef de Donald Trump et figure centrale de l'alt-right américaine, a également fait la promotion des rassemblements anti-Biden organisés par les membres de "Stop the Steal".
Le succès de ce groupe souligne aussi à quel point Facebook, malgré tous les moyens à sa disposition, se retrouve désarmé face à des opérations menées ainsi à la vitesse de l'éclair. Le réseau social a, en effet, réagi plus vite qu'à son habitude pour interdire "Stop the Steal", arguant des "circonstances exceptionnelles" de cette élection. Mais cette sanction n'a pas empêché cette nouvelle communauté de créer des dizaines de clones sur Facebook et de poursuivre leur œuvre de déstabilisation du décompte des voix sur Twitter, YouTube et d'autres réseaux sociaux plus confidentiels, mais prisés par l'extrême droite américaine. Le groupe Facebook a accouché du hashtag "#stopthesteal" et sous cette bannière des dizaines de manifestations pour contester les résultats pro-Biden ont déjà été organisées par ces jusqu'au-boutistes pro-Trump.