
Après des semaines de conflit larvé, l'Éthiopie est désormais "en guerre" contre la région dissidente du Tigré, où Addis Abeba a lancé mercredi une opération militaire.
Au lendemain de l'imposition de l'état d'urgence dans l'État du Tigré, l'Éthiopie a estimé jeudi 5 novembre qu'elle était désormais "en guerre" contre cette région dissidente située dans le Nord.
"Notre pays est entré dans une guerre qu'il n'avait pas prévue. Cette guerre est honteuse, elle est insensée", a déclaré le général Berhanu Jula lors d'une conférence de presse à Addis Abeba. "Nous nous employons à faire en sorte que la guerre ne gagne pas le centre du pays" et soit cantonnée au Tigré, a-t-il ajouté, alors qu'Addis Abeba y a lancé mercredi une opération militaire.
Le gouvernement fédéral avait décrété l'état d'urgence dans l'État du Tigré après une attaque contre une "base militaire fédérale" dans la nuit de mardi à mercredi. Le Premier ministre Abiy Ahmed accuse le gouvernement local, dirigé par le Front de libération du peuple du Tigré (TPLF), d'être derrière cette attaque qui intervient après des semaines de conflit larvé.
"Le TPLF a attaqué un camp militaire [fédéral] dans le Tigré", a déclaré Abiy Ahmed dans un texte posté sur Facebook et sur Twitter vers 2 h, heure locale [23 h GMT]. "Nos forces de défense ont reçu l'ordre […] d'assumer leur tâche de sauver la nation. Le dernier stade de la ligne rouge a été franchi [et] le gouvernement fédéral est donc contraint à la confrontation militaire", a-t-il ajouté.
Selon Redwan Hussein, porte-parole de la cellule de crise mise sur pied par le gouvernement, "l'objectif militaire est, premièrement, de maintenir la loi et l'ordre, ensuite de libérer le peuple tigréen".
Le gouvernement veillera à "impliquer les populations du Tigré dans leur propre libération, pour ne pas être des victimes et servir de bouclier au […] petit gang du TPLF [qui] ne représente pas [la totalité des habitants]", a-t-il ajouté.
"Une guerre, une invasion"
Le TPLF a nié la réalité de ces attaques, inventées selon lui pour justifier l'intervention militaire. "Ce qui a été déclenché contre nous est clairement une guerre, une invasion", a déclaré le président de la région du Tigré, Debretsion Gebremichael, lors d'une conférence de presse jeudi. "C'est une guerre que nous menons pour préserver notre existence", a-t-il ajouté, précisant que des combats se poursuivaient dans l'ouest de la région et que l'armée éthiopienne massait des troupes aux frontières des régions Amhara et Afar, respectivement au sud et à l'est du Tigré.
Des diplomates à Addis Abeba ont indiqué que des pertes de chaque côté étaient probables, mais aucun bilan officiel des combats n'a été donné jusqu'ici. Aucune information n'est disponible sur les opérations en cours, et Internet et le réseau téléphonique étaient coupés jeudi au Tigré pour la deuxième journée consécutive, rendant extrêmement difficile de vérifier la situation sur place.
Une telle réponse militaire pourrait marquer le début d'un potentiel conflit interne dans le deuxième pays le plus peuplé d'Afrique, en proie à des tensions internes croissantes.
Des élections régionales illégales selon Addis Abeba
Le TPLF a dominé la coalition qui a renversé en 1991 le régime militaro-marxiste du dictateur Mengistu Haïlé Mariam, puis exercé un contrôle étroit sur l'Éthiopie pendant presque trente ans, jusqu'à l'arrivée au pouvoir de Abiy Ahmed, un Oromo, en 2018. Le TPLF l'accuse d'avoir progressivement marginalisé la minorité tigréenne (6 % de la population) au sein de la coalition au pouvoir, que le parti a depuis quittée, se positionnant de facto dans l'opposition.
Les tensions n'ont cessé de croître depuis la convocation en août pour le mois suivant d'élections régionales par le TPLF – qui a raflé l'ensemble des sièges – enfreignant le report par Addis Abeba de tous les scrutins en Éthiopie en raison du coronavirus. Le TPLF a rejeté la prolongation – accompagnant ce report – de tous les mandats arrivant à expiration, y compris celui du Premier ministre. Depuis, le TPLF et le gouvernement se considèrent mutuellement comme illégitimes.
"La moitié des forces armées" concentrées dans la région
La semaine dernière, ces tensions se sont cristallisées sur le contrôle des personnels et équipements militaires du Tigré. Car cet État abrite une part importante des personnels et équipements militaires de l'État fédéral, un héritage de la guerre qui avait opposé en 1998-2000 l'Éthiopie à l'Érythrée, qui borde cette région septentrionale.
La région totalise "plus de la moitié de l'ensemble du personnel des forces armées et des divisions mécanisées" du pays, selon un rapport du centre de réflexion International Crisis Group (ICG) publié vendredi.
La population du Tigré représente 5 % des quelque 109 millions d'habitants éthiopiens mais la région est plus riche et plus influente que les huit autres régions du pays.
Avec AFP et Reuters