logo

Le vote pro-Trump des Hispaniques a progressé par rapport à 2016, ce qui a permis au président sortant de remporter quelques États clés, comme la Floride ou le Texas. Ce glissement vers le camp républicain d’une partie des Latino-Américains, traditionnellement acquis aux démocrates, est une tendance de fond qui pourrait avoir un impact à long terme sur le paysage politique américain.

Entre espoir et déception. Jeudi, le candidat démocrate Joe Biden semble, certes, avoir pris l’avantage sur son rival républicain Donald Trump à l’issue de l’élection présidentielle américaine du 3 novembre. Mais la "vague bleue" promise par les sondages durant la campagne est loin de s’être matérialisée.

Les analystes manquent encore de recul pour identifier toutes les causes qui ont permis au président sortant de défier, une nouvelle fois, les enquêtes d’opinion. Mais il apparaît évident que "le vote latino a contribué à empêcher les démocrates de remporter une nette victoire", assure Paul Schor, spécialiste de l’histoire sociale des États-Unis et de ses minorités au Laboratoire de recherche des cultures anglophones de l’université Paris-VII, contacté par France 24.

"Ce n’est plus un bloc monolithique"

En Floride, tout d’abord, le vote pro-Trump a progressé de plus de 3 % au sein de cette communauté par rapport à 2016, ce qui s’est révélé crucial dans cet État clé remporté, pour la deuxième fois consécutive, par le candidat républicain. Au Texas, aussi, une partie des Latino-Américains, qui avaient voté majoritairement pour les démocrates en 2016 et lors des élections de mi-mandat en 2018, ont choisi Donald Trump cette fois-ci. Dans plusieurs comtés proches de la frontière mexicaine, le vote des Hispaniques en faveur du président sortant a augmenté de 200 % par rapport à 2016, rapporte USA Today. Ce virage à droite "est l’une des surprises de ce scrutin et explique, en grande partie, pourquoi le président sortant a pu gagner au Texas", note Paul Schor.

Certes, la communauté hispanique est restée majoritairement fidèle aux démocrates. Joe Biden a attiré près de deux tiers de ces voix et n’aurait notamment pas pu se retrouver en tête dans l’Arizona sans cette minorité, souligne la chaîne CBS. Mais l’érosion de ce soutien est l’une des grandes leçons de ce scrutin, pour Paul Schor.

"On ne peut plus évoquer cette communauté comme ce bloc monolithique qui était par le passé acquis aux démocrates à cause de la rhétorique anti-immigration d’une partie des républicains", souligne Richard Johnson, spécialiste de la politique américaine à la Queen Mary University de Londres, contacté par France 24.

Il y a dorénavant une multitude de votes latinos, qui peuvent varier en fonction du pays d’origine, du sentiment religieux, de l’âge et du sexe, ou encore du niveau socioprofessionnel. Il peut paraître surprenant que le thème de l’immigration ne soit plus le moteur électoral principal pour une partie de cette population alors que Donald Trump se présente comme le champion de la politique migratoire la plus dure possible et ne s’est pas gêné, par le passé, de traiter les immigrés venus d’Amérique Latine de "violeurs" et de "voleurs".

Le spectre du candidat du "socialisme"

Mais après les avoir copieusement insultés durant son mandat, Donald Trump a fait beaucoup pour les reconquérir, alors que Joe Biden a été moins actif sur ce front, "pensant peut-être un peu vite que leur vote lui était largement acquis", reconnaît Paul Schor. Le président sortant a ouvert des antennes de campagne dans des quartiers très hispanophones de villes de Floride et du Texas délaissés par son adversaire, raconte le Washington Post. Il a fait des discours dans des prisons où se trouvaient de fortes minorités latinos et s’est rendu dans des églises communautaires pour se présenter comme le candidat des valeurs chrétiennes traditionnelles. "Il ne faut pas oublier que d’un point de vue des valeurs, beaucoup d’Américains ayant des origines d’Amérique latine sont très chrétiens et ont des positions très conservatrices sur des questions sociétales comme l’avortement", rappelle Paul Schor.

Donald Trump est aussi parvenu à "convaincre une partie de ces électeurs que Joe Biden était le candidat du socialisme, une idéologie associée pour beaucoup de ces immigrés au Venezuela de Maduro, et qui constituent à leurs yeux tout ce qu’ils ont cherché à fuir en venant aux États-Unis", note Richard Johnson. Rien à voir avec le président sortant, qui peut lui se targuer d’avoir mené une politique étrangère des plus intransigeantes à l’égard du Venezuela et, plus généralement, des pays d’Amérique latine gouvernés à gauche.

Ce glissement vers les républicains d’une partie du vote hispanique représente un défi pour les démocrates au-delà de cette élection. "Il semble qu’on est en train d’assister à une évolution au sein de cette communauté, marquée par le fait qu’être latino-américain n’est plus le facteur prédominant dans le vote, ce qui va obliger les démocrates à faire de nouveaux efforts pour reconquérir cet électorat", résume Paul Schor.

Les républicains, surtout les plus conservateurs, ne peuvent, quant à eux, que se réjouir de cette évolution. "On disait depuis longtemps que la démographie américaine condamnait les républicains à un examen de conscience car avec l’importance grandissante de la minorité latino-américaine, ils allaient devoir revoir leurs positions sur des questions comme l’immigration", rappelle cet expert de l’université Paris-VII. Mais cette remise en cause n’est plus d’actualité si un candidat outrancièrement anti-immigrés comme Donald Trump peut réussir à séduire une partie de cette communauté.