Théoneste Bagosora a été condamné par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) à la prison à vie pour génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre. Le "financier" du génocide, "Monsieur Z", a écopé de 20 ans.
Après presque 15 ans, le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) a statué sur le sort de personnes suspectées d’être impliquées dans le génocide de 1994 au Rwanda, au cours duquel 800 000 Tutsis et Hutus avaient été tués.
L’ancien colonel rwandais Théoneste Bagosora a été condamné à une peine de prison à vie pour génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Les avocats de Bagosora ont déclaré que l’ex-militaire comptait faire appel de cette décision.
Le verdict concernant cet Hutu de 67 ans était l’un des plus attendus du TPIR. Le procureur du tribunal avait requis contre lui la prison à perpétuité mais l’homme clamait son innocence depuis son arrestation en 1996 au Cameroun.
Le tribunal a établi la responsabilité de Bagosora dans l’assassinat de l’ancien Premier ministre Agathe Uwilingiyimana, ainsi que dans celui de dix soldats belges de maintien de la paix et de plusieurs hommes politiques. La Cour a également estimé qu’il était l’un des artisans du massacre des Tutsis. Au moment du génocide, Bagosora était directeur de cabinet au ministère de la Défense rwandais.
"L’accusation d’entente en vue de commettre un génocide n’a pas été retenue faute de preuve suffisante", rapporte Stéphanie Braquehais, correspondante de RFI pour FRANCE 24 à Arusha. Elle raconte que Bagorosa, vêtu d’un costume sombre et d’une cravate rouge, est resté imperturbable à l’énoncé du verdict. "Le procureur n’a pas pu étayer sa thèse. Mais les accusés pris individuellement ont commis des actes de génocide, qui relèvent de crimes contre l’humanité et de crime de guerre", explique Roland Amoussouga, porte-parole du TPIR.
"Le fait d’avoir indiqué qu’il n’y avait pas de preuves de l’existence d’une entente préalable est un acte d’humilité des juges qui contredit la thèse habituelle soutenue par le bureau du procureur", analyse André Guichaoua, sociologue et témoin expert auprès du TPIR, interrogé par FRANCE 24 . "Cela ne rend pas le crime moins monstrueux, mais donne clairement une responsabilité et une date aux événements."
Bagosora a plaidé non-coupable. "Je n’ai tué personne ni donné aucun ordre de tuer à qui que ce soit", avait-il clamé au dernier jour de son procès, le 1er juin 2007, se disant ensuite victime de la propagande de l’actuel régime rwandais.
"On arrive à des dossiers cruciaux. Mais ce n’est certainement pas la fin, une vingtaine d’autres personnes sont susceptibles d’être jugées", affirme André Guichaoua. "Bagosora était un élément-clé dans l’organisation du génocide. Il était le maître d’ouvrage opérationnel, mais il agissait pour le compte d’autres gens, notamment pour les intérêts du clan du président Habiyarimana."
"Monsieur Z", le beau-frère de l’ancien chef d’Etat assassiné
Autre accusé: Protais Zigiranyirazo, surnommé "Monsieur Z", homme d’affaires et beau-frère de l’ancien chef d’Etat assassiné Habyarimana, a été condamné à 20 ans de prison par le TPIR pour génocide et crimes de guerre.
La chambre présidée par l'Argentine Inès Weinberg de Roca a conclu que Protais Zigiranyirazo avait aidé et encouragé au massacre de près de 1 500 Tutsis le 8 avril 1994 sur la colline de Kesho, dans sa préfecture natale de Gisenyi (nord).
Il a par ailleurs été condamné pour "aide et encouragement" au massacre de 10 à 20 Tutsis dans les environs de sa résidence dans la ville de Kigali.
Le procureur avait requis la prison à vie contre lui en mai. "Très certainement, nous sommes déçus par ce verdict. Nous allons revoir les pièces du dossier et décider si nous faisons appel ou pas", commente Hassan Bubacar Jallow, procureur auprès du TPIR, joint par FRANCE 24.
Les limites du Tribunal pénal international pour le Rwanda
De nombreuses critiques pointent du doigt le TPIR sur le fait qu’il n’a pas poursuivi le Front patriotique rwandais (FPR), une organisation tutsie politique et militaire, aujourd’hui au pouvoir au Rwanda.
Selon l'ONG Human Rights Watch, contrairement au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie qui a engagé des poursuites contre toutes les parties impliquées dans le conflit, le TPIR n’a pour l’instant inquiété que les acteurs du génocide de 1994 au Rwanda.
L'ONG a d'ailleurs exhorté le Tribunal pénal international à engager des poursuites judiciaires contre le FPR qui a, selon Human Rights Watch , "tué des milliers de civils" en 1994.
Le mandat du TPIR court jusqu’à la fin de l’année 2008. La Cour devra statuer sur les procès en appel avant fin 2010. L’Assemblée générale de l’ONU discute actuellement sur une éventuelle extension du mandat du tribunal, ce qui lui permettrait de poursuivre des membres du FPR.