Après l’attaque le week-end dernier d’un commissariat à Champigny-sur-Marne, aux portes de Paris, les syndicats de police, reçus mardi par le ministre de l'Intérieur, dénoncent une escalade de la violence à leur encontre. Comment expliquer cette hostilité entre certains jeunes de quartier et la police ? Analyse.
Les images de tirs de mortiers d'artifice circulent en boucle sur les réseaux sociaux. Dans la soirée du 10 octobre, une quarantaine de personnes ont attaqué le commissariat situé dans le quartier du Bois-l’Abbé, classé en zone de sécurité prioritaire, à Champigny-sur-Marne, en banlieue parisienne. Trois jours avant, c’étaient deux enquêteurs de la police judiciaire qui étaient violemment agressés à Herblay, dans le Val-d'Oise.
Attaque du commissariat de Champigny au mortier (94) ????#VilleuneuveLaGarenne #emeutes #banlieues #ConfinementJour37 #Police #Champigny pic.twitter.com/W36RNFDhDn
— remontada94 (@remontadaa94) April 22, 2020Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, qui doit recevoir les syndicats de police ce mardi, a d’emblée exprimé son "soutien total aux policiers". Le Premier ministre a assuré sur Franceinfo que le gouvernement serait "intraitable". Des mots insuffisants pour les forces de l’ordre, inquiètes et en colère. Lundi, une centaine de policiers s’est rassemblée devant le commissariat de Champigny-sur-Marne pour exprimer son "ras-le-bol" et dénoncer une "escalade" de la violence, selon le syndicat de police Alliance. Derrière une banderole "Notre sécurité a un prix", des agents ont brandi des pancartes les représentant comme des cibles.
Les agressions en hausse
Les policiers sont-ils vraiment devenus des cibles ? La "haine antiflic" a-t-elle franchi un cap ? "Les violences ne concernent qu’une minorité de jeunes. On ne peut pas parler d’une haine générale contre la police, c’est plutôt une guerre locale de territoire", nuance Flavien Benazet, policier et secrétaire national de la SNUITAM-FSU, interrogé par France 24. Selon un sondage de l'Ifop-Fiducial de juin 2020, 46 % des sondés disent faire confiance à la police, contre 7 % qui se disent hostiles.
Bien qu’elles soient le fait d’une minorité, les violences contre la police ont néanmoins atteint des records ces cinq dernières années. Plusieurs agents de police ont été délibérément visés par des actes criminels, comme ces agents brûlés à Viry-Chatillon en 2016, ou des actes de terrorisme – attaques à Paris en janvier 2015, assassinat d’un couple de policiers à Magnanville en 2016 et attentat des Champs-Élysées en avril 2017.
L’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) a par ailleurs relevé une hausse des agressions des forces de l’ordre (policiers et gendarmes). En 2018, quatre policiers sont décédés dans l’exercice de leur fonction et 10 790 agents ont été blessés, soit une hausse de 15 % par rapport à 2017. Parmi les militaires blessés, dans 48 % des cas, les blessures sont la conséquence d’une agression, soit une hausse de 20 % par rapport à 2017. Concernant la police, le nombre de policiers blessés par arme connaît une hausse de 60 %. Des chiffres à prendre toutefois avec précaution car basés sur du déclaratif.
Une défiance réciproque
Pour le ministre de l’Intérieur, ces violences sont notamment imputables à "l’ensauvagement d’une partie de la société", terme apparu en septembre dans le langage politique (et emprunté à l’extrême droite) pour évoquer l’insécurité sur le territoire. Pour les sociologues, les causes sont forcément plus complexes et à chercher notamment dans l’histoire locale des territoires.
"On n’atteint pas un niveau de violence tel que celui de Champigny du jour au lendemain, c’est le fruit de plusieurs années de défiance et de représentations négatives réciproques", analyse pour France 24 Mathieu Zagrodzki, chercheur associé au Cesdip (Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales). "Les policiers perçoivent les jeunes des quartiers comme uniformément hostiles à leur égard et les jeunes perçoivent la police comme l’ennemi. Des deux côtés, ils sont socialisés dans l’idée du rejet de l’autre."
"Il faut regarder l’historique des contentieux, il y a une mémoire des conflits dans les quartiers", ajoute Jérémie Gauthier, sociologue à l’Iris-EHESS. Au Bois-l’Abbé, à Champigny sur Marne, il y a effectivement un passif. Dans ce quartier, qui fait partie des territoires de la "reconquête républicaine" établis en 2018 par l'ancien ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, ce n’est pas la première fois que ce type de violences a lieu. En avril dernier, des individus ont tiré au mortier d'artifice sur la façade du même commissariat. Un an avant, trente personnes avaient également lancé cocktails Molotov et feux d'artifice sur le bâtiment.
Un sentiment d’impunité partagé
"Des logiques de guerre de clan et de vengeance sont à l’œuvre", poursuit Mathieu Zagrodzki. Le ressentiment est fort des deux côtés, et jeunes des quartiers comme policiers dénoncent chacun une forme d’impunité dans l’autre "camp". Côté quartier, les images de violences policières circulent en boucle. Les jeunes les partagent de façon virale et en nourrissent un sentiment d’impunité de la police, biberonnés aux récits des affaires Théo, Adama Traoré, ou Zyed et Bouna.
Ces griefs entrent en résonance avec ceux formulés par les policiers. Lundi, le porte-parole du syndicat de police Alliance a d’ailleurs insisté sur le besoin d'une réponse pénale raffermie face aux violences policières. "Maintenant, on n'a 'plus peur' de s'attaquer aux policiers parce qu'on n'a plus peur de la réponse qui va être apportée", a regretté Stanislas Gaudon sur Europe 1.
Les chiffres montrent pourtant que les violences sont plus sévèrement réprimées lorsqu’elles visent des personnes représentant l’autorité publique. Selon l’ONDRP, des peines de prison ferme ont été prononcées dans 57 % des cas entre 2011 et 2015, contre 19,4 % pour les violences ne visant pas des agents publics.
"Quand on parle de bavure policière, on répond tout de suite impunité alors que la police dit être la profession la plus contrôlée de France", analyse Mathieu Zagrodski. "À l'inverse, quand on parle de délinquance, les victimes ont l'impression d'une punitivité très importante alors que la police dénonce un système pénal laxiste. Au final, ce sont deux systèmes de représentations qui se confrontent", conclut Mathieu Zagrodski.
La suite de cet article est à lire ici.