"C'est un thème sensible", a souligné le ministre de la Santé Olivier Véran jeudi à l'Assemblée, lors de l'examen d'une proposition de loi visant à allonger le délai légal pour recourir à l'avortement, faisant preuve de prudence face à une majorité beaucoup plus allante.
Ambiance électrique au Palais Bourbon : l'examen d'une proposition de loi visant à allonger le délai légal pour l'avortement a ravivé, jeudi 8 octobre, les passions autour de ce "thème sensible" selon le gouvernement, qui avance avec prudence face à des députés LREM beaucoup plus allants.
Dès le milieu de journée, l'Assemblée nationale a voté par 102 voix contre 65 l'article clé qui doit permettre l'allongement du délai légal d'accès à l'IVG de 12 à 14 semaines de grossesse (16 semaines d'aménorrhée). Quatre autres articles doivent encore être débattus.
"En dépit de nos appartenances politiques, nous nous sommes réunis autour d'un objectif, celui de faire progresser les droits des femmes et d'adresser un message fort au monde entier". @AlbaneGaillot présente sa proposition de loi visant à renforcer le droit à l'IVG. #DirectAN pic.twitter.com/hajsmwTa6J
— LCP (@LCP) October 8, 2020Du fait d'un manque de praticiens et de la fermeture progressive de centres IVG, il s'écoule souvent plusieurs semaines entre le premier rendez-vous et l'intervention. Chaque année, entre 3 000 et 4 000 femmes "hors délai" partiraient avorter à l'étranger, selon un rapport parlementaire publié en 2000.
Huées, bronca ou à l'inverse salves d’applaudissements : les débats ont régulièrement tourné à l'aigre entre les partisans du texte et ses opposants, de la droite et d'ex-marcheurs comme Joachim Son-Forget et Agnès Thill, faisant resurgir les fantômes des discussions sur la loi Veil, adoptée il y a 45 ans.
"Tous ceux qui ont voté pour Emmanuel Macron en 2017, athées, francs-maçons, religieux, tous se sont faits avoir, ceci n'était pas dans le programme", selon l'ex-députée de La République en marche @ThillAgnes. #DirectAN #IVG pic.twitter.com/rdUnFh9ZTW
— LCP (@LCP) October 8, 2020"J'avais cru en venant dans l'Hémicycle que ce n'était pas le droit à l'avortement qui était remis en question" mais "c'est de ça dont il est question", a fustigé l'élue LREM Aurore Bergé face à un amendement de Xavier Breton (LR).
"Les entraves continuent dans notre pays"
"Nous n'attendons ni compassion ni commisération, nous n'attendons rien, nous attendons que les femmes puissent vivre leur accès à l'avortement comme elles le souhaitent. Les entraves continuent dans notre pays. Et c'est ce dont nous parlons ce (jeudi) matin", a tonné Aurore Bergé, elle-même issue de LR.
.@auroreberge : "Nous sommes dans cet hémicycle un certain nombre de femmes à avoir eu recours à l'#IVG, et nous n'attendons ni compassion, ni commisération, ni en fait rien, nous attendons que les femmes puissent vivre leur accès à l'avortement sans entrave". #DirectAN pic.twitter.com/K14azrmgPx
— LCP (@LCP) October 8, 2020"Personne ne remet en cause le droit à l'IVG", se sont défendus à plusieurs reprises les parlementaires de droite, à l'image du LR Patrick Hetzel.
De la gauche à la droite, tous les députés ou presque ont invoqué les mânes de Simone Veil, décédée en 2017, qui a fait adopter la loi dépénalisant le recours à l'interruption volontaire de grossesse (IVG), pour défendre leurs positions.
Le ministre de la Santé Olivier Véran avait d'emblée qualifié le thème de "sensible". Il ne s'y est pas trompé. Se présentant comme un "fervent défenseur de la cause des femmes et du droit à l'avortement", le ministre a choisi d'avancer avec prudence sur un terrain qu'il juge trop miné pour être débattu lors d'une "niche" parlementaire.
"Je ne peux en conscience considérer que nous disposons de tous les éléments pour prendre une décision aujourd'hui", affirme @olivierveran, qui a saisi le Conseil consultatif national d'éthique à propos de l'allongement du délai de 12 à 14 semaines de recours à l'#IVG. #DirectAN pic.twitter.com/SsXGruFcCv
— LCP (@LCP) October 8, 2020Portée par la députée du groupe EDS (Écologie, démocratie, solidarité) et ex-LREM Albane Gaillot, la proposition de loi est débattue en première lecture. Le texte a obtenu le soutien de la majorité, et fait suite à un rapport parlementaire de la délégation aux Droits des femmes de l'Assemblée qui préconisait cette mesure.
Attendre l’avis du Comité consultatif national d’éthique
C'est une "question morale", a assuré Cécile Muschotti, cheffe de file des marcheurs sur le texte. Une vraie décision "politique", a-t-on renchéri sur les bancs de La France Insoumise. Tout en affirmant respecter les convictions du camp adverse, Jean-Luc Mélenchon s'est livré à un vibrant plaidoyer "humaniste" en faveur du droit à l'avortement. Sa collègue Clémentine Autain a raconté avoir elle-même avorté mais en se heurtant à une question de "délai". L'ensemble de la gauche est en soutien de la proposition de loi.
"J'ai moi-même avorté. Et le moment de détresse je l'ai ressenti le jour où je suis allée chez le gynécologue et que l'on m'a expliqué qu'il n'y aurait pas de place à temps pour que je puisse avorter dans les délais", déclare @Clem_Autain. #DirectAN pic.twitter.com/nhRu1ar3pL
— LCP (@LCP) October 8, 2020Pour Olivier Véran, la partition est autrement plus délicate. Il a rappelé qu'il était essentiel d'attendre l'avis du Comité consultatif national d'éthique (CCNE), que le gouvernement a saisi mardi, "pour faire un travail complet abouti" et éclairer les débats. Celui-ci doit rendre son avis courant novembre, probablement avant le passage de la proposition de loi au Sénat.
"Parfois le mieux est l'ennemi du bien", a fait valoir le ministre, mettant en avant par exemple le risque "d'effondrement du nombre de gynécologues" souhaitant réaliser une IVG dont la durée de réalisation serait allongée.
Sur l'ensemble de la proposition de loi, le ministre a une "position de sagesse", s'en remettant à la décision de l'Assemblée nationale. "Heureusement que vous êtes là", l'a-t-on félicité sur les bancs de la droite opposée au texte. Un compliment empoisonné.
Avec AFP