L'éditeur de jeux vidéo Epic Games s'est lancé dans une croisade contre le système de commissions à 30 % d'Apple en utilisant Fortnite, son populaire jeu en ligne. Une bataille légale engagée lundi sur fond d'accusations d'abus de position dominante contre les Gafam.
Loin des champs gaziers méditerranéens ou des manifestations biélorusses qui font l'actualité, une bataille homérique agite depuis mi-août le monde du numérique.
Dans le rôle du challenger, l'éditeur de jeux vidéo Epic Games, le créateur de Fortnite, qui a porté plainte contre Apple lundi 17 août pour empêcher le géant californien d'exclure le jeu de son magasin d'applications. Face à lui, la firme à la pomme aux 1 900 milliards de dollars de capitalisation boursière dans le rôle du gardien du temple. L'objet du contentieux : la sacro-sainte règle des 30 % de commission prélevés par Apple sur les transactions d'éditeurs tiers réalisées sur iOS.
Apple removed Fortnite from the App Store and has informed Epic that on Friday, August 28 Apple will terminate all our developer accounts and cut Epic off from iOS and Mac development tools. We are asking the court to stop this retaliation. Details here: https://t.co/3br1EHmyd8
— Epic Games Newsroom (@EpicNewsroom) August 17, 2020L'attaque tombe au plus mal pour la firme de Cupertino, qui, comme les autres Gafam, est visée par des accusations de pratiques monopolistiques anticoncurrentielles.
Epic veut l'opinion publique de son côté
L'étincelle qui a mis le feu aux poudres est la décision d'Epic Games, le 13 août dernier, de proposer au sein de la version mobile de Fortnite l'accès à la monnaie virtuelle du jeu – qui permet par exemple de personnaliser ses avatars à coups d'euros ou de dollars bien réels – sans passer par les systèmes de paiement d'Apple ou de Google.
Une méthode qui permet à Epic Games d'éviter leurs commissions, mais qui contrevient aux conditions d'utilisation imposées par les deux Gafam dans leurs boutiques en ligne respectives. La réaction des mastodontes californiens est rapide : en quelques heures, le jeu Fortnite est banni de ces boutiques, empêchant tout nouvel utilisateur de le télécharger sur les systèmes Android et iOS.
Une escalade anticipée par Epic Games qui dégaine, le 17 août, une action en justice pour abus de position dominante et demande que le jeu soit de nouveau rendu disponible. Quelques jours plus tôt, une vidéo parodique d'une ancienne publicité d'Apple dénonçant un univers informatique orwellien est diffusée sur Fortnite et les réseaux sociaux.
"Epic Games a défié le monopole de l'App Store. En représailles, Apple est en train de bloquer Fortnite sur un milliard d'appareils. Rejoignez la lutte pour empêcher 2020 de devenir '1984'", écrit l'éditeur de jeux vidéo, qui s'attache à obtenir le soutien de l'opinion publique dans ce qu'il anticipe être une guerre de tranchées.
De nombreux éditeurs de contenus observent avec intérêt le combat en cours. Certains sont déjà sortis de l'ombre, comme le service d'écoute de musique en ligne Spotify, qui a engagé en 2019 une procédure similaire devant la justice européenne.
La révolte gronde autour de la citadelle Apple
Pour le géant de Cupertino, il devenait donc urgent de tuer dans l'œuf ces velléités de révolte. La réponse d'Apple a pris la forme d'un ultimatum qui risque de laisser l'éditeur rebelle KO debout.
Epic Games a ainsi annoncé mardi qu'Apple menaçait de lui retirer ses accès à tous ses comptes développeurs sur iOS et macOS d'ici le 28 août s'il ne rentrait pas dans le rang. Ces accès sont essentiels pour l'éditeur de jeux vidéo, qui tire une bonne partie de ses revenus de son moteur de jeu, l'Unreal Engine. Ce dernier est proposé sous licence à d'autres développeurs pour qui l'environnement iOS est un débouché naturel. L'ultimatum d'Apple met donc Epic Games en porte-à-faux vis-à-vis de ses propres clients.
La firme à la pomme défend sa commission de 30 % comme le prix à payer pour maintenir un environnement sain et fonctionnel pour les éditeurs tiers.
De son côté, le directeur d'Epic Games, Tim Sweeney, s'élève contre les "taxes tyranniques" que représentent selon lui ces commissions prélevées par les boutiques en ligne – App Store, mais aussi Google Play pour Android ou Steam pour les jeux sur ordinateur.
Un prix à payer qui paraît exorbitant au patron d'Epic Games. Lui qui a commencé sa carrière en 1991 en envoyant son premier jeu vidéo sur disquette à ses clients... par la poste.