En refusant d'accueillir au pied levé le Grand départ du Tour de France 2021, la ville de Rennes a provoqué un tollé. Mais les élus bretons écologistes ne sont pas les premiers à remettre en cause le modèle économique de la Grande Boucle.
"C'est un format sportif daté." Les mots à propos du Tour de France de Valérie Faucheux, adjointe aux mobilités et coprésidente du groupe des élus écologistes de Rennes, ont mis le feu aux poudres. Pour le départ de la Grande Boucle 2021, la capitale bretonne a refusé de remplacer au pied levé Copenhague, forfait en raison de la pandémie de Covid-19.
À première vue, la décision de l'équipe municipale rennaise, composée de socialistes et d'écologistes, peut apparaître comme incompréhensible : vélo et écologie font plutôt bon ménage, le développement des mobilités douces étant une priorité des élus verts. Mais la petite reine n'est pas la Grande Boucle.
"Il n'y a aussi aucune corrélation entre l'accueil du Tour et le développement des déplacements vélo au quotidien, que nous sommes les premiers à défendre", expliquent les élus écologistes de la métropole rennaise dans un communiqué.
Valérie Faucheux dénonce ainsi l’"empreinte carbone" du Tour de France en raison des caravanes de voitures et de camions, "sa gestion catastrophique des déchets" et "son image sexiste de la femme", faisant référence aux hôtesses sur les podiums d’arrivée.
Opposition et ancien coureurs montent au créneau
Des propos que se sont empressés de dénoncer des élus d'opposition mais aussi d’anciens coureurs, dénonçant une opportunité économique manquée et accusant les écologistes d'une forme de mépris de classe.
"C’est une erreur politique", critique Loick Le Brun, élu d’opposition centriste rennais, dans Ouest-France. "Ce départ aurait été économiquement une très bonne chose pour l’économie rennaise, celle qui crée des emplois, celle qui fait vivre des familles, celle qui paie des impôts pour que des emplois publics soient financés."
" [Valérie Faucheux] est écologiste ? Il faudra qu'elle regarde ce qu'elle met à ses pieds et d'où ça vient", s'agace en conférence de presse, Bernard Hinault, quintuple et dernier Français vainqueur de l'épreuve. "Elle pollue peut-être plus que n'importe quelle personne à vélo. Ça me met en colère. On ne peut pas dire que le cyclisme est quelque chose d'arriéré. C'est ridicule. Je crois qu'il faudrait qu'elle réfléchisse avant d'ouvrir sa gueule", lâche le Blaireau, qui ne mâche pas ses mots.
J’ai honte pour mon département et ma ville de naissance #Rennes . Valérie faucheux @EELV grandissez et ouvrez vos yeux tout comme @nathalieappere. J’ai honte, vraiment honte mais finalement pas si surpris que ça par votre bêtise récurrente @LeTour https://t.co/RIeNGd0iWc
— Stéphane Heulot (@stephane_heulot) August 10, 2020"Un Tour de France, ça ne se refuse pas", explique Alain Cadec, le président Les Républicains du département des Côtes-d’Armor, dans Ouest-France. "C’est l’événement gratuit le plus important du monde !"
Une dépense coûteuse pour les villes
Gratuit, le Tour de France ? Pas pour tout le monde et certainement pas pour les villes qui l'accueillent. C'est d'ailleurs ce qu'a souligné l'équipe municipale rennaise : "Ce qui a scellé le souhait d'accueillir une étape plutôt que le Grand départ, et non le refus d'accueillir le Tour comme il a pu être dit de manière erronée, reste l'aspect budgétaire et financier", explique dans une publication sur sa page Facebook le premier adjoint PS, Marc Hervé, tout en rappelant sa "passion" pour un événement qui a "nourri [sa] jeunesse".
"S'il est vrai que ces grands rendez-vous, dont Rennes n'a pas manqué ces dernières années (Tour de France 2015, demi-finales du Top 14 de rugby, Coupe du monde de football féminin...), ont un impact économique certain, ils ont également un coût financier important pour les collectivités", tient à rappeler l'élu socialiste. "Les 700 000 euros directement versés par la ville d'accueil à la société organisatrice ASO, auxquels s'additionnent plusieurs centaines de milliers d'euros de prestations directes pour le Grand départ, se seraient ajoutés au budget prévisionnel de tous les autres événements prévus en 2021."
Le Tour de France est depuis quelques jours l'objet de débats passionnés quant à l'organisation de son Grand départ pour...
Publiée par Marc Herve sur Jeudi 13 août 2020Si la ville de Rennes parle d'un coût de 700 000 euros pour accueillir le Grand départ en 2021, la ville de Bruxelles, elle, avait dû débourser plus de 4,5 millions d’euros en 2019. Pour accueillir une étape, la facture est un peu moins salée : environ 80 000 euros pour un départ et 120 000 euros pour une arrivée, forcément retransmise en direct, donc plus intéressante.
À ces sommes versées directement à ASO s'ajoutent des frais réclamés par le cahier des charges du Tour : barrières, alimentation en eau et en électricité de la caravane et du village départ/arrivée… Ce qui peut doubler la facture.
"Les 700 000 euros qu'il faut dépenser pour accueillir cette épreuve, c'est l’équivalent d'une année de rallonge du budget du centre communal d'action sociale (CCAS), et les retombées économiques n'ont jamais été prouvées", se défend Valérie Fauchaux.
Une étude du cabinet Protourisme en 2018 montrait pourtant qu'une étape rapportait 2 euros aux commerces, hôtels et restaurants d'une ville-étape par euro dépensé par la municipalité.
Rennes loin d'être la seule voix critique
D'autres élus s'interrogent même sur la pertinence du modèle du Tour de France. À Grenoble, le maire EELV, Éric Piolle, a refusé le passage du Tour dans sa ville en 2019, date anniversaire du maillot jaune, né dans la ville iséroise. La Grande Boucle y fera pourtant son retour en 2020 lors de la 17e étape et Grenoble partagera la facture avec son agglomération.
"Nous avons une histoire avec le vélo, toutes les formes du vélo y compris le Tour de France", concède l'édile sur France Bleu. "Mais le Tour doit évoluer […]. On ne peut plus accueillir des évènements en contradiction avec les valeurs écoresponsables qu'on essaie de mettre en place."
Et les Verts ne sont pas les seuls à se méfier du Tour de France En 2018, Garches (LR) ou Marnes-la-Coquette (DVD), dans les Hauts-de-Seine, avaient fait savoir aux organisateurs du Tour que le passage des cyclistes serait plus gênant que profitable pour leur ville. Et Nice (LR), ville du Grand départ cette année, s'est longtemps refusée à l'accueillir, arguant de l'incompatibilité avec la saison touristique.
Le Tour, loin d'être maillot vert de l'environnement
Selon Ouest-France, le Tour est loin d'être un exemple en matière d'écologie : entre 10 et 12 millions de spectateurs se déplacent en camping-cars ou en voitures sur le bord des routes, le parc automobile de l'évènement est de plus de 2 000 véhicules (170 pour la seule caravane publicitaire), et surtout 15 millions de goodies distribués (en 2019), le plus souvent en plastique. Un impact environnemental dénoncé l’an dernier dans une tribune par des députés de tous bords et des ONG.
ASO assure pourtant progresser sur le sujet : distribution de sacs poubelles, recyclage, instauration d'une zone verte où les coureurs sont invités à se délester spécifiquement de leurs déchets…
"Depuis maintenant cinq ans, nous avons entamé, avec nos partenaires, une politique de réduction du plastique dans les cadeaux que les marques offrent au public", explique Christian Prudhomme, directeur du Tour. " On avance depuis des années, même si comme tout le monde on pourrait avancer plus vite. Cette année, pour la première fois, on aura 29 voitures hybrides. Il y aura des voitures 100 % électriques dans la caravane. J’utiliserai personnellement une voiture électrique à trois reprise", a-t-il souligné.
Le Tour de France veut désormais montrer patte verte, mais au-delà de l'impact écologique et du coût, apparaît en creux un autre problème pour les écologistes : celui du "sport-business" qui prend le pas lors de ces immenses rassemblements sportifs.
"Il y a toujours une part de privatisation de l'espace public pour des grands évènements sportifs. Le Tour de France appartient à une société privée qui a des actionnaires qui attendent des dividendes, explique Gérard Onesta, chef de file des écologistes de la région Occitanie, sur franceinfo. "Est ce qu'on ne pourrait pas imaginer de garder le côté liesse populaire sans avoir les excès ?"