Des centaines de millions de dollars de prêts accordés au titre du programme d’aide aux PME américaines ont été versés à des entreprises détenues par des grands groupes chinois, d’après une étude publiée dimanche. Certaines sont mêmes soupçonnées de participer à la persécution de la minorité musulmane ouïghoure.
Les contradictions de la politique chinoise des États-Unis, énième acte. D’un côté, le président américain Donald Trump veut interdire le réseau social chinois Tik Tok aux États-Unis et “faire payer” Pékin pour ce qu’il perçoit comme son rôle dans la propagation du Covid-19 dans le monde. De l’autre, son administration a prêté, depuis mars, des centaines de millions de dollars à des entreprises aux États-Unis détenues par des grands groupes chinois ou dans lesquelles ces sociétés ont d’importantes participations, a révélé une étude publiée dimanche 2 août par Horizon Advisory, un cabinet américain de conseil spécialisé dans les relations sino-américaines.
En tout, plus de 125 entreprises basées aux États-Unis et ayant des liens financiers forts avec Pékin ont reçu entre 200 millions et près de 500 millions de dollars au titre de l’aide américaine aux PME pour surmonter la pandémie de coronavirus. Ces prêts ont été accordés car le programme de protection des PME (Paycheck Protection Program - PPP), institué en mars, “permet aux filiales et succursales américaines d’entités étrangères de faire des demandes de soutien financier”, souligne le New York Times.
Des prêts de plus d’un million de dollars
Et les groupes chinois ont sauté sur l’occasion. “Au moins 32 entreprises aux États-Unis détenues par une société en Chine ont demandé et obtenu des prêts dépassant un million de dollars”, souligne les analystes d’Horizon Advisory qui ont épluché les données relatives au PPP rendues publiques par l’administration américaine en juin. C’est bien plus que le montant moyen des avances accordées au titre de ce programme, qui se situe aux alentours de 90 000 dollars.
Ce fonds d’aide d’urgence, doté de 660 milliards de dollars, vise à limiter les licenciements aux États-Unis durant la crise sanitaire. En ce sens, l’argent prêté aux entreprises détenues par des groupes chinois “a probablement permis de sauvegarder des emplois aux États-Unis”, reconnaissent les auteurs de l’étude. Mais ils les accusent d’avoir siphonné les ressources d’un programme, dont ces entités chinoises n’avaient pas forcément besoin, au détriment des autres PME américaines. “Ces conglomérats, souvent publics ou liés au pouvoir chinois, auraient probablement pu facilement avoir accès à des financements en Chine pour sauvegarder leurs activités sur le sol américain”, assurent ces analystes.
Mais surtout, ces prêts ont bénéficié à plusieurs reprises à des entreprises chinoises qui sont dans le collimateur de Washington. La filiale américaine du très controversé groupe chinois de biotech BGI — accusé de créer une base de données génétiques de la population dans la région du Xinjiang (où réside la minorité musulmane chinoise des Ouïghours) — a ainsi reçu entre 350 000 dollars et un million de dollars. Le prêt a finalement été remboursé après que son existence a été révélée par le site Axios mi-juillet.
Il n’en va pas de même pour l’argent prêté à Baebies Inc, une start-up spécialisée dans le dépistage prénatal, qui a reçu entre un et deux millions de dollars au titre du PPP. L’investisseur principal de cette jeune pousse de Caroline du Nord est BOE, un géant chinois des objets connectés, soupçonné de profiter activement du travail forcé des Ouïghours.
Des entreprises liées à l’armée chinoise
Plus de trois millions de dollars ont également été prêtés à des entreprises américaines qui dépendent directement ou indirectement de groupes chinois soupçonnés d’être trop proches de l’Armée populaire de libération (APL). Des largesses qui mettent l’exécutif américain dans une position délicate : d’un côté, la Maison Blanche fait tout pour isoler le géant de l’électronique Huawei, accusé de travailler pour les militaires chinois, et de l’autre les États-Unis avancent des millions de dollars à des succursales américaines d’entités que le département de la Défense considèrent également comme subordonnées à l’APL.
Les prêts les plus conséquents relevés par Horizon Advisory — entre 5 et 10 millions de dollars — ont été consentis à des entreprises opérant dans les secteurs pharmaceutique, des voitures électriques ou encore des technologies de l’information. “Les États-Unis ont financé indirectement, dans chacun de ces cas, des conglomérats que l’administration Trump accuse régulièrement de vols de propriété intellectuelle”, note le New York Times.
Le tableau dépeint par cette étude donne l’impression que le programme d’aide aux PME “fragilise, par manque de contrôle rigoureux des prêts accordés, l’une des priorités politiques de Donald Trump : ralentir les efforts chinois pour se hisser au niveau technologique des États-Unis”, souligne le Project of Government Oversight, une ONG américaine qui lutte contre la corruption et la fraude dans l’administration américaine.
Washington est conscient des limites actuelles du PPP. Des sénateurs républicains ont, notamment, proposé d’exclure les PME américaines détenues par des groupes chinois de ce programme. Mais cela signifierait condamner, potentiellement, des centaines d’emplois supplémentaires aux États-Unis. Il n’est pas sûr que c’est un risque que Donald Trump acceptera de prendre à quelques mois de la prochaine élection présidentielle.