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En décidant mardi de ne plus associer le géant chinois Huawei au déploiement de leur réseau 5G, les Britanniques viennent de donner un avantage certain au président américain, Donald Trump, dans le conflit commercial qui oppose les États-Unis et la Chine.

Londres ne veut plus de Huawei. Le Royaume-Uni a annoncé, mardi 15 juillet, qu'il n'utiliserait finalement pas les équipements du géant chinois de l'électronique pour son futur réseau 5G. Plus précisément, qu'il ne passerait plus commande à Huawei et demanderait aux opérateurs télécoms britanniques qui avaient déjà acheté du matériel au groupe chinois de s'en débarrasser avant 2027.

"C'est un revirement majeur par rapport à la décision prise en janvier d'autoriser Huawei à avoir un accès restreint au réseau 5G britannique", rappelle Mary-Françoise Renard, directrice de l'Institut de recherche sur l'économie chinoise (Idrec), contactée par France 24.

La fin d'une idylle de 20 ans

Une décision qui fait enrager Pékin. Liu Xiaoming, l'ambassadeur chinois à Londres, a vivement réagi à cette volte-face, qualifiant la décision du gouvernement britannique de "mauvaise et décevante". Les autorités chinoises ont averti le Royaume-Uni qu'il devrait s'attendre à des "conséquences" s'il décidait de traiter la Chine en "partenaire hostile".

La gifle infligée à Huawei est, en effet, d'autant plus grande que "pendant longtemps, on a dit que le Royaume-Uni pourrait devenir la tête de pont pour le géant chinois en Europe", souligne Mary-Françoise Renard. 

Cela fait près de vingt ans que le groupe cultive de bonnes relations avec les autorités britanniques. Il a massivement investi dans le pays, construisant notamment l'un de ses principaux centres de recherche et développement hors de Chine, à Cambridge.

Un travail de longue haleine qui devait permettre à Pékin de faire du Royaume-Uni, "la vitrine du savoir-faire technologique chinois", expliquait en 2019 à France 24 Jean-François Dufour, directeur du cabinet de conseil DCA Chine Analyse. Les autorités chinoises espéraient que si une grande puissance comme le Royaume-Uni – et par ailleurs l'un des principaux alliés de Washington –, pouvait faire confiance à Huawei et au "made in China" en général, cela réduirait la méfiance d'autres nations à l'égard de Pékin.

Donald Trump 1 - Pékin 0

Des efforts et des espoirs qui viennent d'être réduits à néant ou presque par Boris Johnson. Ce revirement stratégique reflète, en partie, la dégradation récente des relations sino-britanniques. La crise hongkongaise est passée par là. Le Royaume-Uni a été parmi les premiers pays à avoir le plus fermement condamné la reprise en main politique par Pékin du territoire semi-autonome, et ancienne colonie britannique. 

En réaction à l'instauration d'une très controversée loi sur la sécurité nationale à Hong Kong, le Premier ministre britannique avait annoncé, début juin, réfléchir à la possibilité de délivrer des "millions de passeports" aux résidents hongkongais désireux de quitter la ville.

Mais plus qu'une volonté de sanctionner Pékin, à travers Huawei, pour ses manœuvres hongkongaises, Londres aurait surtout "agi par crainte de Washington", estime la directrice de l'Idrec, Mary-Françoise Renard. Le président américain, Donald Trump, qui a fait de Huawei son ennemi public numéro 1, a renforcé les sanctions contre ceux qui collaboreront avec une entreprise perçue aux États-Unis comme une "menace pour la sécurité nationale". 

Depuis mai 2020, toutes les sociétés qui utiliseraient de la technologie américaine "pour concevoir ou produire des puces pour Huawei" peuvent être sanctionnées par les États-Unis. C'est un problème majeur pour le géant chinois : pour mettre au point ses équipements 5G, il fait traditionnellement appel au savoir-faire de sociétés américaines spécialisées dans l'automatisation des processus de fabrications des puces. Huawei peut essayer de trouver des alternatives, mais rien ne garantit un même niveau de qualité.

C'est cette incertitude quant à la capacité de Huawei de rebondir que le gouvernement britannique a invoquée pour justifier son changement d'attitude. Ces sanctions "ont vraiment fait la différence, car dorénavant elles obligent Huawei à tout produire en Chine, ce qui rend le processus encore plus opaque", a expliqué Robert Hannigan, l'ancien directeur du renseignement électronique britannique, interrogé par la BBC.

Risque de contagion

En d'autres termes, la défaite de Huawei est une importante victoire pour la stratégie de sanctions tous azimuts de Donald Trump. Le président américain semble avoir enfin trouvé la faiblesse dans l'armure du géant chinois qui a fait basculer dans son camp un soutien de longue date du groupe chinois. Il s'est empressé, mardi, d'applaudir la décision de Londres qui est, à ses yeux, la preuve qu'il réussit "à convaincre de plus en plus de pays de la menace que représente" le consortium chinois. 

La Chine peut, en effet, craindre une contagion à travers toute l'Europe de la décision britannique. "C'est sûr que si le pays avec lequel Pékin entretenait les meilleures relations dit ‘non', le risque existe que cela pousse d'autre États européens à suivre cet exemple", reconnaît Mary-Françoise Renard. 

Et le sort de Huawei ne tient qu'à un fil dans de nombreux pays. En Allemagne par exemple, la chancelière Angela Merkel résistait encore, en début d'année, à la pression de son parti, la CDU, qui veut bouter le groupe chinois hors du réseau 5G national. En France, Paris ne veut pas interdire complètement à Huawei de participer au développement de la 5G, mais le gouvernement soutient les opérateurs qui préfèrent s'en passer…

D'où la vive réaction chinoise. Pékin ne peut pas se permettre de donner l'impression qu'abandonner son fleuron des télécoms en rase campagne n'entraîne pas de conséquence. "La manière dont vous traitez Huawei sera suivie de près par les autres groupes chinois", a ainsi précisé l'ambassadeur Liu Xiaoming. Une manière de suggérer que certains investissements – comme la participation de China General Nuclear Power Corporation (CGN) à la centrale nucléaire d'Hinckley Point – pourraient être remis en question.

Mais la marge de manœuvre chinoise est étroite, estime Mary-Françoise Renard. Pékin est déjà engagé dans une coûteuse guerre commerciale avec Washington. Toute mesure de rétorsion contre Londres pourrait entraîner une réaction européenne. La question est de savoir si aux yeux de la Chine, le soutien à Huawei justifie l'ouverture d'un nouveau front en Europe.