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Effondrement de la livre, nouvelles sanctions américaines... La Syrie proche du naufrage économique

Alors que les effets dévastateurs de la guerre, combinés à la crise financière au Liban voisin et aux conséquences de la pandémie de coronavirus, ont considérablement affaibli l'économie syrienne, le pays doit en plus faire face à l’entrée en vigueur, mercredi, de nouvelles sanctions américaines.  

À genoux après neuf ans de guerre, affaiblie par la crise financière qui frappe le Liban voisin et fragilisée par la crise sanitaire liée à la pandémie de coronavirus, l'économie syrienne est au bord de l’effondrement.

La valeur de la livre syrienne est en chute libre depuis plusieurs mois et enregistre actuellement son pire décrochage depuis le début de la guerre en 2011. La semaine dernière, le dollar, capital pour l'économie et les importations, a brièvement franchi le seuil des 3 000 livres syriennes, soit plus de quatre fois le taux officiel, fixé en mars par la Banque centrale, à 700 livres pour un billet vert.

Avant la guerre, qui a dévasté les infrastructures et les industries du pays et ruiné le secteur touristique, grand pourvoyeur de devises étrangères, un dollar valait entre 47 et 48 livres syriennes au taux officiel.

Signe de la gravité de la situation, le "gouvernement du salut", branche civile du groupe jihadiste Hayat Tahrir al-Cham, qui domine la région d'Idleb, ultime grand bastion rebelle, a commencé à remplacer la livre syrienne par la monnaie turque dans les transactions courantes. Et ce, “afin de protéger la province d'Idleb de l'effondrement économique”, a déclaré lundi 15 juin à l'AFP un responsable local.

"La pauvreté va sans aucun doute encore augmenter"

La forte dépréciation de la monnaie nationale a provoqué une flambée des prix sur le marché, y compris des produits de première nécessité, détériorant un peu plus les conditions de vie des Syriens déjà durement affectés par le conflit. Selon le Programme alimentaire mondial (PAM), les prix des aliments ont augmenté de 133 % depuis mai 2019, dans un pays où 9,3 millions de personnes vivent dans l'insécurité alimentaire.

"La crise économique, combinée aux conséquences de la pandémie de coronavirus, qui a paralysé la planète, va affecter durablement les conditions de vie des Syriens", indique Jihad Yasigi, rédacteur en chef de “The Syria Report” à France 24.

Et d’ajouter : "Le fait qu'il n’y ait plus beaucoup de dollars dans le pays, que le Liban, qui était un grand pourvoyeur de billets verts est lui-même en crise, et que les transferts d’argent des Syriens vivant à l’étranger vers leurs familles aient baissé, ayant eux-mêmes été touchés par la crise du coronavirus dans leur pays d’accueil, va empirer la situation et la pauvreté va sans aucun doute encore augmenter".

De son côté, tout en dénonçant “une grande spéculation internationale visant la livre syrienne”, l’ancien député syrien Georges Jabbour explique à France 24 que le contexte régional influe sur la stabilité de la monnaie nationale. “Les affaires économiques sont liées aux affaires politiques, souligne-t-il. Lorsqu’il y a des soubresauts au Liban ou en Irak, quand Israël envisage d’annexer une partie de la Cisjordanie avec l’assentiment des Américains, cela a des conséquences économiques et financières en Syrie”.

La loi César, le coup de grâce pour l’économie syrienne ?

Déjà soumis à des sanctions internationales, le régime du président Bachar al-Assad pourrait en effet voir la crise rapidement empirer, alors que la loi américaine "Caesar Syria Civilian Protection Act", ou "loi César", baptisée d’après le pseudonyme du lanceur d’alerte, qui avait révélé en 2014 des photographies de corps torturés et suppliciés dans les prisons du régime entre 2011 et 2013, doit entrer en vigueur le 17 juin.

Le texte, promulgué en décembre par le président Donald Trump, prévoit un gel de toute aide à la reconstruction pour les autorités syriennes, ainsi que des sanctions contre le régime ou des entreprises collaborant avec celui-ci, tant que les auteurs d'atrocités n'auront pas été traduits en justice.

"La loi César commence déjà à avoir un impact. Les entreprises étrangères (y compris russes) préfèrent ne pas prendre de risques", a récemment indiqué à l'AFP Zaki Mehchy, consultant au centre de réflexion britannique Chatham House.

La mesure américaine, qui va rendre encore plus difficile les investissements étrangers, est qualifiée de “terrorisme économique” par Damas et accusée d’être responsable de la situation actuelle. La semaine dernière, plusieurs dizaines de personnes ont manifesté dans la capitale pour dénoncer ces sanctions et réaffirmer leur soutien au président Assad.

Le ministre de l’Économie et du Commerce syrien Mohammad Samer al-Khalil, cité par Al-Watan, un journal proche du régime, estime que cette loi vise à "prolonger la guerre contre la Syrie, entraver toute tentative de relance économique ou de reconstruction". Mais aussi "couper l'alliance stratégique" entre Damas et ses alliés et partenaires économiques iraniens et russes.

Toujours est-il que la dégradation de la situation économique fragilise le pouvoir de Bachar al-Assad, qui a vu repartir quelques manifestations dans des secteurs pourtant contrôlés par Damas. La semaine dernière, plusieurs manifestations ont eu lieu à Soueida, une ville du sud de la Syrie, durant lesquelles des dizaines de personnes ont protesté contre la vie chère, avant de scander des slogans anti-régime.

Et il n’est pas certain que la colère s’apaise malgré le limogeage du Premier ministre Imad Khamis, le 11 juin, et dont le gouvernement avait adopté un train de mesures impopulaires comme de nouvelles coupes dans les subventions sur l'essence et un plafond mensuel pour les achats de certains produits de base, dont le riz et le sucre, à un prix subventionné.