En perte de popularité, Jair Bolsonaro peut compter sur ses sympathisants, des Brésiliens de plus en plus radicaux, persuadés que le virus est un complot communiste destiné à ruiner l’économie brésilienne et imposer une dictature de gauche dans le pays. D'autres pensent que le Covid-19 est "une plaie de dieu" dont seul le président peut les sauver. Rencontre avec le noyau dur des militants pro-Bolsonaro.
À Brasilia, dimanche 17 mai, l'orage qui gronde au loin inquiète beaucoup moins les sympathisants de Jair Bolsonaro que la menace communiste qui pèse sur le pays. Quelques milliers de militants sont venus acclamer le président brésilien. En simple polo bleu, et désormais affublé d'un masque en toute occasion – une nouveauté –, le chef de l'État descend la rampe du Planalto, le palais présidentiel, et vient les saluer.
Une onde de joie s'empare de la foule. "C'est notre président, le seul qui peut nous délivrer de ce comunavirus !", crie une femme. Sans masque, à 68 ans, Dona Regina diffuse en direct la manifestation sur son profil Facebook. Elle porte sur elle le tee-shirt de la campagne présidentielle, avec le slogan "Mon parti est le Brésil" grignoté par une tache rouge, symbole de l'attaque au couteau qu'a subie Jair Bolsonaro durant la campagne, le 6 septembre 2018.
La plupart sans masques, ces manifestants sont persuadés que le nouveau coronavirus fera plus de mal à l'économie qu'à la santé de leur pays. Et pourtant, le jour même, le Brésil dépasse la barre tristement symbolique des 15 000 décès dus au Covid-19.
"Comunavirus" et "dicta-gouverneurs"
Le "comunavirus" est une expression à la mode dans ces rassemblements. Même si la majorité de ces sympathisants ne nient pas l'existence du coronavirus et les dangers de la pandémie, pour eux, un mal plus fort encore ronge le pays. Un mal qui empêche les "bons Brésiliens" de sortir dans la rue, de pouvoir travailler et rouvrir les commerces fermés par les "dicta-gouverneurs" des États. Et ce mal, selon eux, ce sont les communistes. Entendez, tous ceux qui ne soutiennent pas Jair Bolsonaro.
À mesure que le président brésilien perd en popularité – 39 % de soutien désormais –, ses partisans se radicalisent. Il y a là des Brésiliens venus du pays tout entier, en voiture, en cars et même pour certains, à pied ! Ils campent sur l'esplanade des ministères devant le Congrès, pour soutenir leur président.
C'est le cas de Dona Regina. Originaire de Rio, ultraconservatrice et anti-avortement, cette retraitée de la fonction publique dit avoir vécu une révélation grâce à Jair Bolsonaro. "Il représente tout ce qu'on attendait au Brésil. On ne nie pas le virus, on sait qu'il existe, mais le Brésil va mourir de faim si on empêche les gens de travailler. Moi, je ne travaille plus mais je manifeste pour ma fille !" Une fille inquiète, dit-elle, d'avoir vu sa mère diabétique et cardiaque parcourir 1 160 km en car et participer à ces rassemblements désormais hebdomadaires devant le Planalto. Cela fait deux semaines que Dona Regina dort dans une maison prêtée par une sympathisante à Brasilia.
Les autres, pour la plupart d'anciens militaires parachutistes, originaires du même régiment que le capitaine Jair Bolsonaro, dorment sous des tentes, dans un campement de fortune au pied du ministère de la Santé. Les dons affluent chaque jour : passants et fonctionnaires des ministères alentours viennent leur apporter de la nourriture, de l'eau et participer aux barbecues organisés.
La presse dans le viseur
Devant le palais présidentiel, dans la foule homogène vêtue de jaune et vert, les couleurs du drapeau national, tous ne partagent pas les mêmes objectifs : une poignée de vétérans de l'armée défendent une intervention militaire pour aider Jair Bolsonaro à mieux gouverner, quand d'autres, pères et mères de famille, demandent la démission des juges de la Cour suprême, accusés d'entraver les mesures prises par leur président.
Partisan d'un confinement vertical, c'est-à-dire uniquement des personnes âgées ou à risque, depuis le début de la pandémie, Jair Bolsonaro accuse le pouvoir judiciaire, le pouvoir législatif et les gouverneurs des États d'avoir signé l'arrêt de mort de l'économie brésilienne en votant des mesures de confinement de la population et en obligeant les commerces non essentiels à fermer.
Les argumentations raisonnées se perdent souvent dans des cris de conjecture : "Vous, la presse de gauche !", "Jair Bolsonaro est un envoyé de Dieu, il le protègera !"… Les photographes présents sont sauvés de justesse de quelques coups de coude par une messe improvisée.
Beaucoup accusent la presse et la chaîne de télévision privée Globo d'orchestrer une campagne de destitution contre Jair Bolsonaro. Le slogan "Globo Lixo" ("Globo ordure") est devenu leur cri de ralliement. Un mantra répété sans cesse sur les réseaux sociaux de droite, et en particulier le compte Instagram du célèbre pasteur Silas Malafaia. Ardent défenseur du président, il poste chaque jour une nouvelle vidéo décortiquant les "fake news" relayées, selon lui, par Globo contre Jair Bolsonaro. Derniers commentaires échangés sur ces groupes de droite : certains décès auraient été intentionnellement classés Covid-19 pour faire gonfler les chiffres.
"Seul Dieu nous délivrera du mal"
Dans cette guerre d'idées, la religion a un pouvoir important au Brésil. La majorité des évangéliques et leur puissant lobby au Congrès défendent le président. À Rio, dans l'ombre de Silas Malafaia, de nombreux pasteurs continuent de prêcher dans leurs églises, défiant les interdictions de rassemblement. C'est le cas de Cristina, pasteure de l'Église du pouvoir de Dieu sur les hauteurs de Penha, une favela dans la zone nord de Rio.
Cristina est persuadée que le Covid-19 est une punition de Dieu, comparant le nouveau coronavirus aux sept plaies d'Égypte. Une malédiction, un sort jeté par l'ennemi chinois pour condamner aussi à une mort certaine les exportations de soja du pays, fleuron de l'économie brésilienne. "Seul Dieu nous délivrera du mal, il suffit de prier fort, regardez-moi, je n'ai pas eu le virus, alors que ceux qui l'ont eu, j'en suis sûre, n'ont pas assez fait appel à Dieu pour les sauver." Une parole qui se répand rapidement dans ces quartiers très croyants, où l'on compare parfois aussi Jair Bolsonaro a un messie, son deuxième prénom d'ailleurs.
La pasteure, qui est également entrepreneure au chômage technique, n'est pas à une contradiction près : elle reste muette quand on l'informe que c'est le Congrès, et non Jair Bolsonaro, qui a voté la libération de la rente d'urgence qu'elle perçoit. Une centaine d'euros mensuels pour les Brésiliens les plus touchés par la crise économique provoquée par le coronavirus. Par ailleurs, son Église, très puissante au Brésil, détient des terrains agricoles dans l'intérieur du pays. Là, le chef de la congrégation est persuadé qu'il y pousse une graine qui soignerait du Covid-19. Il souhaite la vendre entre 500 et 1 000 reais (entre 80 et 160 euros). "J'irai à Brasilia pour en donner au président, s'enthousiasme Cristina. Je suis convaincue qu'il pourra s'en servir pour sauver les Brésiliens !"