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Covid-19 : la chaîne alimentaire sur le fil du rasoir

C’était le signe qu’une crise se déroulait : d’un côté, des paysans la mort dans l’âme qui détruisent leurs récoltes invendues, de l’autre, des rayons de supermarchés décimés, où manquent des produits de base… En peu de temps, la crise sanitaire du coronavirus a mis au grand jour les fragilités de notre système alimentaire mondial. Le Covid-19 est un signal d’alarme, disent les partisans d’une réforme radicale. Comment changer un système aujourd’hui sur le fil du rasoir pour sécuriser les chaînes d'approvisionnement alimentaire ?

Difficile pour des Américains d’imaginer manquer de viande, il y a encore quelques semaines. C’est pourtant ce qui les guette. Toute la chaîne d’approvisionnement est touchée par le Covid-19 : abattoirs, usines de transformation et entrepôts. Pour les éleveurs, cela signifie des milliers de bêtes sur les bras et une seule issue, l’euthanasie, comme l’explique Mike Patterson, fermier du Minnesota : "À un moment, si on ne peut plus vendre nos porcs, il faut bien faire quelque chose. On ne sait tout simplement plus où les mettre".

Le coronavirus s'est rapidement propagé dans les abattoirs américains, il a coûté la vie à au moins vingt employés du secteur. La production de viande a sévèrement chuté, faisant planer le spectre d’une pénurie nationale. Face à ce risque,  Donald Trump a signé fin avril un décret pour classer les usines de transformation de viande parmi les infrastructures essentielles. Depuis, elles rouvrent progressivement.  

Cette crise s’explique par la structure du marché : l’hyper concentration. Le secteur est contrôlé par une poignée de grandes compagnies, quatre sociétés produisant par exemple à elles seules 80% de la viande de bœuf. Un système très productif, mais qui se révèle vulnérable lors de crise comme celle du coronavirus.

Les fragilités d’un système

Olivier De Schutter, rapporteur des Nations unies pour l'extrême pauvreté et les droits humains, explique : "Le système alimentaire dont nous avons hérité est extrêmement fragile, pour une raison simple c’est que nous avons toujours privilégié l’efficience au détriment de la résilience". Nous avons un système qui a encouragé chaque région à se spécialiser pour satisfaire les besoins du marché mondial. L’Ukraine et la Russie fournissent le blé, le Vietnam, l’Inde, la Thaïlande, produisent du riz pour l’Afrique de l’Ouest. Tout cela fonctionne bien… jusqu’au jour où les chaînes d’approvisionnement sont rompues pour des raisons climatiques, sanitaires, économiques ou encore géopolitiques. Et alors le système trahit au fond toute sa fragilité.

Il y a aujourd’hui un consensus général : revenir à l’échelle locale. Olivier de Schutter plaide pour "une relocalisation de la production. C’est la raison pour laquelle il faut aujourd’hui appeler les gouvernements à investir davantage dans la diversification de la production locale et dans la reconquête d’une certaine autosuffisance, pour qu’on produise davantage de ce que l’on consomme dans chaque région". 

La famine, troisième onde de choc ?

Dans le monde, il n’y a pas de pénurie de masse ou de famine à cause du Covid-19, pour l’instant en tous cas. Mais l'ONU avertit que cela pourrait changer : le nombre de personnes au bord de la famine pourrait doubler, passer de 135 millions en 2019 à 265 millions en 2020.

En avril, au Kenya à Nairobi, une distribution d'aide alimentaire a tourné à l’émeute dans le bidonville de Kibera, faisant de nombreux blessés et deux morts. "Une partie  importante de la population africaine est dans l’économie informelle", poursuit Olivier de Schutter. "Les restrictions de déplacement font que beaucoup de travailleurs de l’économie informelle n’ont plus de source de revenu. Si, en outre, les prix des denrées alimentaires augmentent en raison de la spéculation, en raison de la rupture des chaînes d’approvisionnement, on va aller vers une situation très inquiétante, où ces émeutes de la faim pourraient effectivement se développer dans un nombre plus important de pays".

La famine serait la troisième onde de choc, pour les pays pauvres, après celle de la crise sanitaire, puis économique. L’Afrique en particulier aurait besoin de plus d’aide alimentaire que jamais.