Judy Mikovits, une chercheuse américaine au passé controversé, est la star d’une vidéo qui fait fureur sur les réseaux sociaux. Elle permet de fournir un semblant de vernis scientifique à la longue liste de théories du complot qui ont accompagné la propagation du coronavirus.
Gare aux vaccins, les masques peuvent "activer" le virus, et la vérité au sujet du Covid-19 est ailleurs. Ce sont là quelques-unes des affirmations proférées par Judy Mikovits, une scientifique discréditée, et devenue, ces derniers jours, la nouvelle égérie de tous ceux qui veulent croire à un vaste complot à l'œuvre derrière la pandémie de coronavirus.
Elle est l'entrée, le plat de résistance et le dessert d'une vidéo, mise en ligne la semaine dernière, qui a été vue plus de 8 millions de fois sur les réseaux sociaux, malgré les efforts de Youtube, de Facebook et de Twitter pour la faire disparaître de leur plateforme, soulignait le New York Times, samedi 9 mai.
Perles complotistes
D'une durée de vingt-six minutes, cette vidéo est d'une facture bien plus professionnelle que la plupart des productions conspirationnistes traditionnelles, ce qui peut expliquer la raison d'un tel succès, suggère le Washington Post. Présentée comme la première partie d'un documentaire destinée à dévoiler la "vérité" au sujet de la pandémie, elle a été créée par Elevate, une petite société de production californienne dirigée par Mikki Willis, un réalisateur qui a soutenu le candidat démocrate, Bernie Sanders, lors de l'élection présidentielle de 2016 avant de tomber dans la marmite conspirationniste.
La vidéo enfile, d'ailleurs, les perles complotistes développées par les autres productions du même acabit depuis le début de l'épidémie de coronavirus. On y retrouve la thèse d'un virus développé par l'homme dans un laboratoire à Wuhan, ou encore celle de médicaments qui seraient efficaces contre le Covid-19, mais dont la distribution serait bloquée pour ne pas nuire aux intérêts des grands labo pharmaceutiques. Des théories qui ne reposent sur rien de concret, comme cela a été démontrée encore et encore.
Mais, cette fois-ci, Elevate ajoute un zeste de caution scientifique à cette soupe conspirationniste en la personne de Judy Mikovits, chercheuse de 62 ans au passé controversé. Elle est présentée comme une immunologue de premier plan, qui a participé aux travaux fondateurs ayant permis de mieux lutter contre le virus du sida, et qui a publié de nombreux articles scientifiques dont, au moins un, "à fait l'effet d'une bombe dans la communauté scientifique", affirme Mikki Willis.
Judy Mikovits est aussi dépeinte comme une scientifique marginalisée par ses pairs parce que ses recherches auraient pu faire de l'ombre à des personnalités influentes du monde scientifique américain comme… Anthony Fauci, le très respecté expert en chef des maladies infectieuses de l'administration américaine. Il est, notamment, accusé d'avoir enterré les travaux de Judy Mikovits en matière de lutte contre le VIH pour permettre à ses "amis" de s'en attribuer tout le mérite.
Fausse percée scientifique
Pas étonnant qu'elle plaise aux "trumpistes" et aux conspirationnistes de tous poils : elle fait figure "d'outsider" en conflit avec "l'establishment", ici incarné par Anthony Fauci, perçu par beaucoup de militants conservateurs comme la voix de la "bien-pensance" scientifique et qui freinerait les efforts du président américain pour redémarrer l'économie américaine.
Mais ce portrait est trop flatteur pour être honnête. Judy Mikovits, immunologue qui a travaillé dans les années 1990 à l'Institut national américain de recherche sur le cancer, peut difficilement être créditée d'être à l'origine de percées scientifiques majeures dans la lutte contre le sida. La seule trace de travaux consacrés à ce virus remonte à sa thèse en 1991, "qui n'a pas eu d'impact majeur sur la recherche dans le domaine", note la revue scientifique Science.
Elle a, en revanche, bel et bien publié un article scientifique qui a fait grand bruit en 2009… Mais pas pour les bonnes raisons. Judy Mikovits, alors directrice du Whittemore Peterson Institute, un institut de recherche spécialisée dans la lutte contre le syndrome de fatigue chronique, y affirmait avoir fait une percée majeure dans la compréhension de cette maladie qui affecte des millions de personnes dans le monde.
Mais l'expérience centrale à sa démonstration n'a jamais pu être répliquée et, deux ans plus tard, son article a été jugé scientifiquement incorrect et a été retiré. Peu après, elle a été licenciée du Whittemore Peterson Insitute, qui a même entamé une procédure pénale à son encontre, pour une sombre histoire de vol de données. Judy Mikovits a été brièvement incarcérée en Californie, mais les poursuites ont, ensuite, été abandonnées.
Sus à Anthony Fauci
Elle s'est attachée à recouvrir l'histoire de ses déboires judiciaires d'un vernis complotiste, affirmant qu'elle avait fait l'objet d'une campagne de dénigrement orchestrée par Anthony Fauci pour discréditer ses travaux sur le "danger" des vaccins… Contacté par le site Snopes, spécialisé dans la traque à la désinformation, Anthony Fauci a assuré "ne pas comprendre les accusations" de Judy Mikovits. Mais les affirmations de la chercheuse lui ont valu une certaine notoriété dans les milieux "anti-vaccins", bien avant qu'elle ne devienne la nouvelle égérie des conspirationnistes à l'ère du Covid-19.
Si les affirmations farfelues de Judy Mikovits ne font pas du bien à la science en ces temps de crise sanitaire, et risquent même de pousser certains à ne pas suivre les consignes pour se prémunir du virus, elles ont eu un effet très bénéfiques… sur les ventes du tout nouveau livre de la chercheuse. Sortie en catimini mi-avril, l'ouvrage s'est propulsé en tête des ventes aux États-Unis sur Amazon depuis que la vidéo a fait son apparition sur les réseaux sociaux. Il a même dépassé les précommandes pour le prochain tome de Twillight, la célèbre série de livres à succès pour ados. C'est dire si les théories du complot ont le vent en poupe.