
Alors que la Chine, point de départ du coronavirus, a officiellement connu son premier cas d’infection en novembre 2019, la France avait encore jusqu’à peu un "patient zéro" identifié comme contaminé en janvier. Pourtant, des études et des témoignages tendent à montrer que la propagation du virus dans l’Hexagone a pu commencer fin 2019.
C’est un mal invisible qui est vraisemblablement passé sous les radars des diagnostics de santé pendant des mois. Le Covid-19, qui a fait ces dernières semaines plus de 25 000 morts en France, garde encore sa part de mystère quant à l’origine de sa propagation dans l’Hexagone.
Jusqu’à la semaine dernière, le département de l’Oise était considéré comme le point de départ de la diffusion du virus avec un "patient zéro" identifié "la deuxième semaine" du mois de janvier, comme le révélait Le Monde le 8 avril. La Direction générale de la Santé (DGS), contactée par France 24, date pour sa part les premiers cas officiels de contamination à "fin janvier 2020".
C’était avant que le professeur Yves Cohen, chef des services de réanimation des hôpitaux Avicenne de Bobigny et Jean Verdier de Bondy, n’annonce, le 3 mai sur BFM Paris, qu’un patient de Seine-Saint-Denis avait été testé positif au Covid-19 le 27 décembre 2019. Lors de son hospitalisation, ce dernier avait subi un test PCR – pour une pneumonie – qui s’était révélé négatif.
"On a repris les tests négatifs de tous les patients qui avaient une pneumonie à partir du 2 décembre 2019, et le premier qu’on a trouvé positif au Covid-19 c’était le 27 décembre", explique le Pr Yves Cohen, joint par téléphone par France 24. "Le prélèvement avait été fait le 27 décembre, mais on n’a su qu’il n’était positif que début avril".
Le patient concerné, un habitant de Bobigny, ne savait pas qu’il était contaminé alors. "Je suis sorti faire les courses au centre commercial, au marché, j'ai emmené les enfants à l'école, accueilli la famille à la maison, alors oui, peut-être que j'en ai contaminé d'autres", a-t-il expliqué à France Bleu Paris.
Le gouvernement attend "une confirmation" du cas de Covid-19 identifié en décembre
Mais l’homme qui est "pour l’instant le plus ancien patient" testé positif au Covid-19 en France, selon le Pr Yves Cohen, pourrait ne pas être le premier maillon dans la chaîne de contamination. "La seule chose que l’on sait, c’est que sa femme a été très légèrement malade avant lui, qu’ensuite lui l’a été et qu’il a transmis ça à ses enfants", affirme le chef de services de réanimation.
Et la femme du nouveau "patient zéro", si elle aussi a été contaminée, pourrait l’avoir été sur son lieu de travail, dans un supermarché. Pour le Pr Yves Cohen, deux hypothèses sont alors possibles : "Soit elle a pu être en contact avec avec des personnes d’origine asiatique au stand de sa poissonnerie, soit avec des gens de l’aéroport, son lieu de travail n’étant pas très loin de Roissy-Charles-de-Gaulle."
"Cette étude (du Pr Yves Cohen) suggère que le SARS-CoV-2 circulait sur notre territoire avant les premiers cas officiels, voire avant même la confirmation de son existence par la communauté scientifique", explique la DGS, qui ajoute : "Le gouvernement est en contact avec les scientifiques et experts afin d’obtenir de leur part une confirmation ou une information sur ce sujet. Nous sommes en contact permanent avec nos homologues européens et chinois sur le sujet, afin de mieux comprendre la diffusion du coronavirus au niveau mondial. "
Des "premiers cas" d’infection à Colmar dès le mois de novembre ?
Cependant, l’identité du premier patient infecté par le Covid-19 n’est pas figée. "Il y a plusieurs hôpitaux – celui de Garches, de la Pitié-Salpêtrière et d’autres de l’Est de la France – qui sont en train de refaire ce qu’on a fait comme étude", affirme le Pr Yves Cohen.
L’un d’entre eux, l’hôpital Albert Schweitzer de Colmar, a d’ailleurs fait état dans un communiqué, jeudi 7 mai, de premiers cas (de Covid-19) notés le 17 novembre 2019 dans l’Est de la France. Le Docteur Schmitt, après avoir étudié rétrospectivement de plus de 2 000 scanners thoraciques réalisés entre le 1er novembre et le 30 avril, a décelé "quelques cas déjà en circulation dans la région au début du mois de novembre". "Le virus s’est alors dispersé de manière très sporadique. La contagion s’est accélérée au moment des événements de fin d’année", jusqu’à l’explosion de l’épidémie, fin février, après un rassemblement évangélique à Mulhouse.
L’hôpital de Colmar a aussi annoncé le lancement d’une collaboration avec le CNRS pour "entamer une exploitation épidémiologique de ces résultats".
Du côté de la DGS, on explique qu’"il n’y a pas de patient zéro unique en France". "Nous avons eu des cas de contaminations fin janvier. Nous avons eu un cluster de cas dans l’Oise. Nous avons eu un cluster dans le Haut-Rhin", ajoute la Direction générale du ministère des Solidarités et de la Santé.
L’hypothèse des Jeux mondiaux militaires à Wuhan en octobre
Une autre hypothèse de la diffusion possible du Covid-19 dans l’Hexagone mène du côté de l’armée française, plus précisément aux Jeux mondiaux militaires d’été (JMME). Cette compétition internationale a eu lieu du 18 au 27 octobre 2019 en Chine, à Wuhan, l’épicentre de la pandémie de Covid-19.
Plusieurs sportifs ayant participé aux JMME rapportent avoir souffert de symptômes similaires à ceux du Covid-19. Parmi eux, un nageur luxembourgeois a raconté que deux de ses coéquipiers étaient tombés malades au cours des JMME. Et un militaire français a affirmé avoir contracté des symptômes pouvant s’apparenter au Covid-19.
C’est finalement le témoignage de la championne du monde de pentathlon moderne qui a braqué les projecteurs sur cette compétition à Wuhan. Dans un entretien – aujourd’hui inaccessible en ligne – donné à la télévision locale TL7 fin mars, et passé inaperçu jusqu’à cette semaine, Élodie Clouvel a affirmé qu'elle pensait avoir été contaminée avec son compagnon Valentin Belaud, pentathlète lui aussi. Tous deux participaient aux JMME au sein de la délégation française.
Interrogée au sujet de cette compétition comme un point de départ possible du virus en France, la DGS renvoie au ministère des Armées, qui avait réagi mercredi dans un communiqué : "Il n'y a pas eu (...) de cas déclarés auprès du Service de santé des armées de grippes ou d'hospitalisation pendant et au retour des JMME, pouvant s'apparenter, à postériori, à des cas de Covid-19". Sans démentir fermement les propos de la championne, le ministère des Armées n’a pas non plus précisé si Élodie Clouvel a été ou non en contact avec des médecins militaires pour être testée ou pour qu’on compare ses symptômes de l'époque avec ceux du Covid-19.
L’hypothèse d’un virus arrivant de Wuhan à la fin du mois d’octobre ou début novembre ne semble donc pas écartée. "C’est possible", réagit le Pr Yves Cohen. "Le premier cas chinois qui a été décrit, c’était autour du 8 novembre. Et comme on sait qu’il faut entre 5 et 14 jours pour qu’on ait les signes cliniques, on peut très bien avoir été, début novembre en France, en contact avec des cas qui pouvaient être contaminés."