
Depuis le début de la pandémie de Covid-19, le marché des médicaments et des matériels de santé est tendu. Le Nord en souffre, le Sud encore plus. Des ONG alertent sur les risques de pénurie de tests pour diagnostiquer le paludisme.
"De ma carrière, je ne n'ai jamais vécu une telle situation. Le comportement de certains laboratoires est indigne et immoral. Et je pèse mes mots." Cet employé d'une ONG est en colère. Pour une question de protection des sources, nous ne précisons ni son nom ni celui de son employeur. Depuis que la pandémie de Covid-19 a frappé l'Europe et les États-Unis, il rencontre toutes les difficultés du monde pour s'approvisionner en tests, en médicaments et en équipements médicaux. Les masques, les blouses, les gants… Tout fait défaut. Même les prix qui s'envolent. "Nos fournisseurs habituels, essentiellement asiatiques, ne prennent même plus les commandes. Les autres exigent des prix inacceptables et la plupart sont des margoulins qui veulent nous faire payer cash à la commande." Dans ces conditions, la direction de l'ONG craint pour la sécurité de ses équipes qui soignent des malades du Covid-19 dans le monde entier.
L'inquiétude grandit aussi concernant l'accès aux tests de paludisme. Depuis le confinement de l'Inde, l'un des principaux producteurs de médicaments avec la Chine, il devient difficile de se procurer ces tests. D'autre part, l'un des principaux fabricants a été placé hors-jeu. En effet, le 18 février, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a publié une alerte sur le laboratoire américain Access Bio. "Des non-conformités critiques, qui peuvent avoir un impact sur la sécurité des patients, ont été identifiées," rapporte l'OMS. Dans ces conditions, Access Bio ne peut plus être un fournisseur des grands acheteurs de tests que sont l'Unicef, l'OMS ou les ONG.
Ce qui laisse le champ libre au laboratoire Abbott. Or d'après notre source, cette firme pharmaceutique américaine aurait prévenu ses clients qu'elle allait proposer sans autre alternative, "de nouveaux tests malaria [paludisme, NDLR] au prix de 70 cents l'unité et se concentrer sur les tests Covid". Or les anciens tests malaria étaient vendus entre 20 et 40 cents l'unité. Quant aux tests Covid-19, ils seraient vendus entre 4 et 10 dollars l'unité.
Jointe par mail, l'OMS explique avoir "eu vent de ces informations" et rappelle qu'il est "primordial de maintenir la fourniture des tests pour des maladies telles que le paludisme, le VIH et la tuberculose, tout en accélérant la production de tests de diagnostic pour le Covid- 19." Le 23 avril, l'organisation internationale s'inquiétait d'un risque de doublement des décès en Afrique sub-saharienne. En cause : ces fameuses perturbations dans l'accès aux traitements antipaludéens. Selon les derniers chiffres en date du 14 janvier, l'institution de Genève évalue à 228 millions le nombre de personnes touchées par le paludisme dans le monde en 2018. Parmi les 405 000 décès, 67 % sont des enfants.
Le vice-président communication externe d'Abbott, Scott Stoffel, reconnaît une tension dans la production de tests malaria due à plusieurs éléments : la disqualification d'Access Bio et surtout une demande qui a changé en quelques semaines. "Au cours des deux dernières années, explique-t-il à France 24, les organisations mondiales d'approvisionnement en paludisme nous ont dit que notre produit n'était plus nécessaire ou qu'elles avaient besoin de volumes nettement inférieurs." Abbott a donc réduit ses capacités de production.
Avec le confinement de l'Inde et les déboires du laboratoire Access Bio, la situation s'est complètement inversée. Abbott a dû s'adapter. "Nous avons considérablement augmenté la production pour répondre à la demande imprévue de tests antipaludiques. Nous allons produire 125 millions de tests au cours du premier semestre de 2020. Il s'agit d'une augmentation de près de 40 % par rapport aux 90 millions de tests que nous avons produits au cours de l'année 2019. Nous avons demandé à la communauté du paludisme de nous faire connaître ses besoins spécifiques en volume, et nous collaborons pour aider à y répondre." Quant au prix, le laboratoire refuse de s'exprimer sur cet aspect du problème.
De son côté, une partie de la communauté internationale continue de se mobiliser. Le 4 mai, Bruxelles accueillait une conférence d'engagement financier sur l'accès à tous aux médicaments et aux équipements pour lutter contre le Covid-19 (organisée par la Commission européenne, la France, l'Allemagne, le Royaume Uni, la Norvège et l'Arabie saoudite). Les associations humanitaires demandent que l'accès à ces médicaments et ces équipements ne soient pas régis par les règles du marché. Les États présents s'accordent avec elles pour les considérer comme "des biens publics mondiaux" qui devraient être "abordables, sûrs, efficaces, facilement administrés et universellement disponibles pour tous, partout". Reste à savoir comment s'y prendre ? Les ONG regrettent l'absence d'engagement précis et concrets des États riches.