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Déconfinement : le blues des Parisiens qui s'étaient mis au vert

Les Franciliens qui se sont exilés pendant le confinement vont pouvoir rentrer chez eux à partir du 11 mai, même s’ils se trouvent à plus de 100 kilomètres de leur résidence. Mais le retour à la capitale a un goût amer.

Rentrer ? Quitter son cocon vert pour rejoindre la zone rouge ? Pour les 1,2 million d'exilés franciliens, ces "Candide" privilégiés qui ont découvert les joies de cultiver leur jardin, ces "néo-ruraux connectés" qui ont troqué sans mal le "métro-boulot-dodo" pour le "zoom meeting, école à la télé et récré dans le jardin", l'heure du déconfinement a sonné.

À partir du 11 mai, si tout se déroule comme prévu, les Parisiens seront nombreux à rejoindre la capitale. Dès l'annonce de la date butoir, le site de la SNCF a commencé à chauffer. Tous ceux qui s'étaient précipités dans les gares parisiennes à l'annonce du confinement, déclenchant fureur et tremblement sur les réseaux, ont tenté de réserver des billets retour, a indiqué la semaine dernière le ministre d'État aux Transports, Jean-Baptiste Djebbari.

Un casse-tête alors que le nombre de train reste limité et que la SNCF ne vend que la moitié des places pour assurer un "retour ordonné", selon les vœux du gouvernement. Néanmoins, le ministre de l'Intérieur l'a assuré : tous ceux qui sont partis pourront rentrer chez eux, munis d'une dérogation de déplacement. "Quand ils sont partis, ils avaient le droit de partir. Nous n'interdisons pas aux Français de rentrer dans leur domicile principal pour reprendre leur travail ou scolariser leurs enfants", a expliqué le 3 mai Christophe Castaner sur LCI.

Le "syndrome de Stockholm" de ceux qui sont restés

Un soulagement pour Jean-Christophe* qui redoutait les difficultés du retour. Il craignait déjà les représailles en partant : ce producteur de télévision a filé à l'anglaise avec sa femme et sa fille, un mois après le confinement et a loué une maison "en douce" en Normandie. "Les Parisiens ont beaucoup jugé ceux qui partaient… C'est vrai qu'on a un peu eu l'impression de quitter la bataille", se justifie-t-il.

Pourtant, ceux qui sont restés ne sont pas mécontents d'avoir gagné en tranquillité avec tous ces départs. Aujourd'hui, ces derniers sont donc un peu mitiqés à l'idée du retour des "déserteurs". "Paris n'a jamais été aussi agréable. C'est le déconfinement progressif qui ne va pas l'être. Les Parisiens qui sont restés ont une sorte de syndrome de Stockholm, du genre : on est bien chez nous, ne venez pas tout gâcher", estime Lucas, journaliste, qui sillonne tous les jours les rues vides de la capitale sur son vélo pour aller travailler.

À la fenêtre de son balcon, sur le boulevard Beaumarchais, dans l'habituellement très dense 11e arrondissement, Pierre redoute aussi la réapparition des foules et des voitures. "On s'habitue vite au silence", estime ce photographe, à qui "finalement, rien ne manque". Même si la maire de Paris Anne Hidalgo fait tout pour éviter le retour en maître de la voiture, le déconfinement refermera cette parenthèse de tranquillité. 

Direction Paris, pour plus "d'efficacité"

Les embouteillages et le bitume ne manquent pas non plus à Jean-Christophe*. Mais malgré les joies de la campagne, le télétravail a ses limites. Après avoir jonglé entre son travail, celui de sa femme, attachée de presse, "en conf-call 12 heures par jour", et sa fille en bas-âge, le retour au bureau est devenu indispensable. "J'ai besoin de gagner en efficacité, de reprendre le contact physique, de relancer la machine. Et surtout la nounou a confirmé qu'elle reprenait le travail !", annonce-t-il soulagé.

Une condition sine qua non pour pouvoir reprendre une activité professionnelle sereinement. Pour Alix, partie en famille en Loire Atlantique, le retour à Paris est un casse-tête. Patronne de sa petite structure de décoration florale, elle doit rentrer pour relancer son activité à tout prix, "sinon je ferme ma boîte". Son mari, architecte dans un grand cabinet, doit aussi retourner au bureau. Mais avec deux enfants en crèche et en maternelle, ils n'ont pour l'instant aucune garantie de pouvoir les faire garder.

Le protocole sanitaire imposé aux écoles après le 11 mai a réduit le nombre de places disponibles comme peau de chagrin. "Quand je ne suis pas en train de demander des aides pour mon entreprise, je supplie les écoles de mettre mes fils sur les listes des enfants prioritaires", nous explique la jeune entrepreneuse entre deux mails. 

"À Paris, on aurait pété un plomb"

L'incertitude du retour à l'école et les conditions de la reprise sont un repoussoir pour beaucoup. Alors quand leur activité professionnelle le permet, certains font le choix de rester au vert. "J'ai parlé avec la maîtresse qui est très inquiète et je n'ai pas de difficulté à faire l'école à la maison, alors je vais laisser la place de mon fils à ceux qui en ont vraiment besoin", estime Clémence, décoratrice indépendante.

Partie dans sa maison en Normandie avec compagnon et enfants, elle n'envisage pas le retour avant la rentrée de septembre : "Pourquoi rentrer ? Si l'école reprend, ce ne sera pas tous les jours, l'organisation sera plus compliquée. En plus, à Paris, on n'a pas de cour, les enfants auront un accès limité aux parcs et aux jardins", projette-t-elle. "Ici, au moins, nous sommes au contact de la nature…".

Le temps du confinement, ces "néo-ruraux" ont ouvert le champ d'un autre possible. Tous, à l'unanimité, évoquent "une vie plus douce", "moins de stress", et la "proximité de la nature". "À Paris, on aurait pété un plomb", résume Clémence. Un constat qui en pousse même certains à renoncer définitivement à la capitale.

Paris je t'aime, mais je te quitte

C'est le cas de Benjamin et de sa compagne. Cela faisait déjà un moment que la réflexion était en cours chez ce couple de Parisiens quadragénaires, mais ces deux mois de confinement en Bretagne ont achevé de les convaincre. Parents de deux garçons de 1 an et 4 ans, ils ont décidé de donner le préavis de leur appartement parisien.

À court terme, Benjamin est rebuté par la perspective d'un retour à Paris "où tout va être très sombre : port du masque, pas de lien social, pas d'école". Rebuté aussi par la crise économique qui plombe son activité de producteur dans la publicité. "Mon activité est à zéro", précise-t-il. "Pour l'instant, on ne va pas pouvoir tourner. Il faut être réaliste, dans ce métier, les règles de distanciations sont intenables". Mais plutôt que de se précipiter à Paris pour sauver la société qu'il a cofondée il y a dix ans, Benjamin voit cette crise comme l'occasion d'un nouveau départ. 

"Paris est une ville magnifique, dynamique, intense. Mais pas un cadre adéquat pour élever mes enfants. Les enfants ont besoin de nature, il suffit de les observer. Alors je préfère leur offrir un cadre plus sain et mettre de côté ma vie professionnelle", conclue-t-il. Les défis à relever seront nombreux pour construire cette nouvelle vie, rêvée "plus simple", plus "normale", mais son choix est fait. Paris est derrière lui. 

* Le prénom a été changé