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Covid-19 : au Cameroun, la méthode Raoult érigée en protocole d'État

Alors que le débat fait rage en France autour de la méthode du professeur Raoult, qui préconise un mélange de chloroquine (antipaludéen) et d’azithromycine (antibiotique) pour traiter les patients atteints du Covid-19, certains pays africains ont, quant à eux, pris ses recommandations très au sérieux. C'est le cas du Cameroun, qui a adopté le traitement du professeur français.

"Aucun traitement n'a à ce jour démontré son efficacité." Lors de son discours sur la stratégie de déconfinement, le 28 avril, Édouard Philippe a réaffirmé de manière claire la position de la France. Alors que le débat autour du protocole du professeur Didier Raoult, directeur de l'IHU Méditerranée Infection de Marseille, continue de diviser le milieu médical, le gouvernement, bien qu'ayant autorisé le traitement de manière très encadré pour les cas graves, affiche son scepticisme face à la bithérapie associant chloroquine (antipaludéen), ou son dérivé l'hydroxychloroquine, et l'azithromycine (antibiotique contre infections pulmonaire, ORL et angines) pour traiter les patients atteints du Covid-19.

#Hydroxychloroquine : "Les dernières publications ne sont pas en faveur de l'utilisation de ce traitement" détaille @olivierveran."Il n'y a pas le protocole du Dr Raoult, il y a un médicament qu'on prend quand on est malade et qui est efficace ou qui ne l'est pas" #QAG pic.twitter.com/IYtw2P5p3C

— Public Sénat (@publicsenat) April 22, 2020

Alors que certains professionnels français considèrent le traitement trop toxique et doutent de son efficacité, de nombreux pays africains, déjà habitués aux médicaments contre le paludisme, ont tranché la question en faveur du professeur marseillais. C'est le cas notamment du Cameroun, qui a adopté la bithérapie de Didier Raoult.

Si le pays a accru ses connaissances des épidémies suite au passage d'Ebola dans la région, ses capacités médicales demeurent limitées et un scénario à l'européenne, avec une multiplication de cas graves, pourrait provoquer une catastrophe. Mi-mars, alors que l'épidémie commence à se propager sur le territoire, et que les pays européens, déjà durement atteints, lancent des plans de confinement, la première vidéo du Dr Didier Raoult ventant l'efficacité de son protocole est abondamment relayée sur les réseaux sociaux camerounais, suscitant d'immenses espoirs. Dans un pays où une partie de la population a encore d'importantes difficultés d'accès aux soins, la perspective d'un traitement basé sur des médicaments accessibles, peu chers et familiers apparait alors comme une bénédiction.

Un protocole à la chloroquine

Le 27 mars, dans une circulaire du ministère de la Santé, le conseil scientifique a proposé de généraliser le traitement à la chloroquine. Jugé "prometteur", il pourrait permettre de diminuer la charge virale et la contagiosité même si le groupe de scientifiques reconnaît une "insuffisance de données probantes". Enfin, le conseil a souhaité l'associer, comme préconisé par Didier Raoult, à l'azithromycine pour éviter les risques de surinfections. Le 9 avril, le protocole est validé pour la prise en charge de tous les types de patients testés positifs, des cas asymptomatiques, en prévention, aux patients souffrant d'infections sévères.

"Avec l'arrivée des premiers cas, les cliniciens ont été tentés d'essayer individuellement des protocoles et il a fallu donner des consignes claires rapidement pour organiser la réponse" explique le Dr Alain Etoundi, directeur de la Lutte contre la maladie, les épidémies, et pandémies au ministère camerounais de la Santé, interviewé par France 24.

"La question de la toxicité supposée de la chloroquine a été abordée et écartée par le conseil. Pour l'instant, les résultats qui nous parviennent semblent satisfaisants, mais l'évaluation du traitement continue", précise-t-il.

Une image de "héros national"

Le Pr William Ngatchou est chirurgien cardiovasculaire à l'Hôpital général de Douala, la capitale économique du Cameroun. Lorsqu'on lui demande s'il connait le Pr Raoult, il acquiesce d'un air amusé : "Tout le monde connait le Pr Raoult au Cameroun ! Certains le considèrent même comme un héros national". Comme grand nombre de professionnels de santé du pays, William Ngatchou considère que l'efficacité de la bithérapie associant antipaludéen et antibiotique a fait ses preuves : "Cela fait bientôt deux mois que ce protocole est utilisé pour les patients atteints du Covid-19. J'ai moi-même constaté des améliorations significatives sur des patients avec son utilisation et le débat autour des effets secondaires de la chloroquine me parait très exagéré".

Sept semaines après la détection du premier cas sur le sol camerounais, le bilan des contaminations communiqué par le gouvernement avoisine les 2 000. L'avancée du virus semble, comme dans beaucoup de pays africains, bien plus lente qu'indiqué par les modélisations. Pour autant, Alain Etoundi l'affirme, le traitement n'est qu'un élément d'une politique sanitaire globale et il est bien trop tôt pour crier victoire : "Nous sommes dans une phase d'ascension de la maladie et le pic n'est pas encore atteint. Tout est encore possible".

Problèmes d'approvisionnement et explosion du marché noir

Outre une décision de santé publique, le choix de la bithérapie représente un défi logistique au Cameroun. Car si elle a été massivement utilisée dans le pays à une époque, cela fait plusieurs décennies que la chloroquine a perdu son efficacité pour lutter contre le paludisme et a été remplacée par d'autres médicaments plus efficaces. "Les stocks étaient totalement épuisés, nous avons dû passer de grosses commandes à l'étranger et relancer une production nationale industrielle", explique Alain Etoundi.

Au Cameroun, des hôpitaux publics ont été sélectionnés pour centraliser les malades du Covid-19. En théorie, les stocks de chloroquine et d'azithromycine y sont suffisants, même si une source au sein des services médicaux, contactée par France 24, nous a signalé des cas occasionnels de pénurie. Mais la situation est plus complexe dans le secteur pharmaceutique. Très importantes au Cameroun, les officines privées jouent parfois le rôle de médecin, et elles ne sont pas autorisées à vendre de la chloroquine.

"Dès que l'on a commencé à parler de la maladie, en mars, beaucoup de gens ont voulu nous acheter des stocks de chloroquine, certains de manière agressive. D'autres sont venus pour essayer de nous en vendre", explique une pharmacienne titulaire d'officine située dans un quartier populaire de Douala, contactée par France 24. "Ici, la demande pour le traitement Covid explose, nous avons multiplié par quatre nos ventes d'azithromycine entre mars et avril. Comme nous n'avons pas de chloroquine, les clients se sont rabattus sur des antipaludiques voisins comme l'Artequin, qui est déjà en rupture de stock chez les grossistes", poursuit-t-elle.

Le marché noir de médicament, déjà florissant en temps normal au Cameroun, est en forte hausse avec la crise du coronavirus. Les autorités ont déjà émis plusieurs alertes portant sur la circulation de fausse chloroquine au sein du réseau sanitaire.

Enfin, un autre sujet inquiète le gouvernement, la disparition de l'hydroxychloroquine, le dérivé de la chloroquine, également préconisé par le Pr Raoult, jusqu'alors en vente libre dans les pharmacies et très peu utilisé car réservés au traitement de maladies très spécifiques (polyarthrite rhumatoïde et lupus). "Les rayons ont été dévalisés très vite, or des malades dépendent de ces médicaments. Ils se retrouvent aujourd'hui démunis et nous devons trouver des solutions pour les protéger", déplore Alain Etoundi.