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Sean Hannity, la star de Fox News, a-t-il favorisé la propagation du Covid-19 ?

Parmi les nombreuses critiques adressées à la manière dont Sean Hannity, pilier de la chaîne conservatrice américaine Fox News, a traité du coronavirus en début d'épidémie, une étude d'économistes a cherché à démontrer que les spectateurs de son émission ont été plus durement frappés par le Covid-19 que d'autres. Mais peut-on réellement établir un lien de cause à effet ?

Il est sur la sellette depuis le début de l'épidémie de Covid-19 aux États-Unis. Sean Hannity, l'une des principales stars de la chaîne ultraconservatrice Fox News, a été accusé à plusieurs reprises d'avoir tardé à reconnaître le risque sanitaire posé par le coronavirus et d'avoir propagé des fausses rumeurs au sujet de la maladie à l'antenne.

Des confrères d'autres médias et professeurs de journalisme l'ont nommément mis en cause dans une lettre ouverte, publiée début avril, critiquant la couverture de l'épidémie par Fox News. Son nom apparaît aussi dans une plainte déposée en justice le 10 avril arguant que la chaîne avait "volontairement" fait la promotion de fausses informations relatives au Covid-19 en février et mars. 

Les aficionados de Sean Hannity plus touchés par le virus que ceux de Tucker Carlson

Sean Hannity s'est défendu avec force contre ces accusations, affirmant qu'il n'avait jamais propagé de "rumeurs" au sujet du coronavirus et qu'il était même parmi les premiers à avoir mis en garde contre le risque de sa propagation rapide. Il a aussi menacé le New York Times de poursuite en justice pour un article du 18 avril qui mettait en cause ses premières sorties télévisées au sujet du Covid-19.

Mais l'étau s'est encore resserré autour du présentateur vedette avec la publication, le 20 avril, d'une étude économique qui laisse entendre que regarder Sean Hannity en début d'épidémie a été mauvais pour la santé des téléspectateurs. Les affirmations du journaliste entre fin février et mi-mars, comparant le coronavirus à la grippe et accusant le parti démocrate d'exploiter le virus dans le seul but de nuire au président Donald Trump, auraient poussé les spectateurs à ne pas prendre le risque sanitaire suffisamment au sérieux. 

Résultat : la maladie a fait davantage de ravages parmi les aficionados de "Hannity" que parmi ceux de Tucker Carlson, autre pilier de Fox qui, lui, a très tôt mis en garde contre les risques du virus, ont constaté les trois économistes de l'université de Chicago qui ont réalisé cette étude. D'après eux, il y aurait eu environ 30 % de plus de cas déclarés de contamination au Covid-19 chez les accros à l'émission "Hannity" que chez ceux qui suivent Tucker Carlson, et 21 % de décès supplémentaire au 28 mars.

Fox News a rapidement contesté ces résultats, qualifiant la démarche des économistes d'"imprudente et irresponsable". Pourtant, "le fond de leur article semble plutôt convaincant", reconnaît Sylvain Chabé-Ferret, économiste spécialisé dans l'évaluation des politiques publiques à la Toulouse School of Economics, contacté par France 24. 

Le choix des téléspectateurs quand la nuit tombe

Certes, il s'agit d'une prépublication qui n'a pas encore été validée par des pairs, comme c'est la norme pour les articles scientifiques, et les auteurs "ont utilisé une idée nouvelle pour leur démonstration qui n'avait jamais été testée dans ce contexte", souligne l'économiste français. Mais ces chercheurs sont reconnus dans leur domaine et "on ne peut pas dire que ce sont des économistes appartenant à la frange de leur discipline qui chercheraient à profiter de la situation pour attirer la couverture médiatique à eux", poursuit-il.

Pour évaluer s'il était plus risqué pour la santé de regarder Sean Hannity plutôt que Tucker Carlson en début d'épidémie, les économistes ont cherché à comparer le nombre de contamination parmi les fidèles de ces deux stars de Fox News au niveau des comtés américains (découpage administratif plus ou moins équivalent à un département). Tout le problème est de pouvoir établir un lien de cause à effet. Il existe, en effet, un grand nombre de facteurs pouvant expliquer pourquoi le virus aurait été plus clément avec les habitués de Tucker Carlson. Ils peuvent être moins âgés, plus éduqués ou encore bénéficier d'une meilleure couverture santé. Autant d'éléments qui peuvent jouer sur le taux de létalité du Covid-19 ou la tendance d'une personne à prendre les mesures adéquates pour se protéger du risque de contamination.

Il fallait donc éliminer ces incertitudes et trouver un élément de comparaison le plus neutre possible. C'est là que les économistes ont fait preuve d'originalité : ils ont opté pour l'heure du coucher de soleil. "On s'aperçoit en effet que les Américains ont tendance à allumer leur poste lorsque la nuit tombe", souligne Sylvain Chabé-Ferret. Aux États-Unis, Tucker Carlson passe à l'antenne une heure avant Sean Hannity. En fonction du fuseau horaire, les amateurs de Fox News vont donc tomber sur Tucker Carlson en commençant leur soirée télé ou plutôt sur son confrère. Là encore, les auteurs de l'étude ont mené des comparaisons qui ont confirmé leurs premières constatations : les "foxophiles" qui ont regardé Sean Hannity et pas Tucker Carlson ont été plus durement touchés par l'épidémie.

Pas une garantie de fiabilité à 100 %

Pour Sylvain Chabé-Ferret, c'est une approche solide pour prouver un lien de cause à effet. "Elle découle de la révolution de crédibilité scientifique en sciences économiques des années 1990, qui a permis d'améliorer la fiabilité des tests empiriques", précise l'économiste de la Toulouse School of Economics. Esther Duflo, prix Nobel d'Économie 2019, est l'une des principales héritières de ce courant économique.

Mais cette méthode n'apporte pas de garantie absolue de fiabilité. Dans la boîte à outils issue de cette révolution de crédibilité scientifique, "elle n'appartient pas au top des méthodes les plus reconnues", explique Sylvain Chabé-Ferret. "Elle offre trop de liberté d'interprétation au chercheur, lui permettant de trouver par hasard quelque chose qui va lui sembler vrai."

C'est pourquoi il estime qu'il y a "environ 50 %" de chance que les auteurs de l'étude soient tombés juste avec leur conclusion. Il faudrait répéter l'expérience et, peut-être, appliquer une autre méthode pour prouver la validité de ces observations.

Ce serait d'autant plus intéressant que la portée de cette étude dépasse le simple cadre du présentateur de Fox News, estime Sylvain Chabé-Ferret. "Je ne pense pas que l'idée soit d'accuser Sean Hannity en particulier, mais plutôt de démontrer scientifiquement que la désinformation peut avoir un impact réel sur le comportement des gens", note-t-il. Cette étude est peut-être aussi, d'après lui, une forme de réponse de chercheurs qui, "comme une grande part de la communauté scientifique, ont été sidérés de voir comment certains responsables politiques et médiatiques aux États-Unis ont traité avec légèreté les dires des experts durant cette pandémie". C'est une manière de leur rappeler que cette légèreté peut se payer au prix sanitaire fort.