Le photographe américain Peter Beard, auteur du célèbre ouvrage sur la nature africaine "The End of the Game" a été retrouvé mort dimanche dans un bois aux États-Unis à l'âge de 82 ans. Une mort mystérieuse pour un homme hors du commun.
"C’est le cœur brisé que nous vous confirmons la mort de Peter Beard. Il est mort là où il vivait : dans la nature." Connu pour ses clichés animaliers et mondains, le photographe américain a été retrouvé mort dimanche 19 avril, a annoncé sa famille lundi. Vu pour la dernière fois le 31 mars, le photographe américain était porté disparu depuis deux semaines, depuis qu’il avait quitté sa maison de Montauk, dans l’État de New York, aux États-Unis. Dimanche, son corps a été retrouvé sans vie dans un bois de Camp Hero State Park, près de Montauk. Il avait 82 ans et était atteint de démence sénile.
Un mort peu commune pour un homme qui ne l’était pas. "Peter était un homme extraordinaire qui menait une vie exceptionnelle", a écrit sa famille. Ce personnage hors norme a longtemps navigué entre deux mondes, aux antipodes géographiquement et culturellement : d'un côté la nature africaine et de l'autre, les soirées mondaines des élites artistiques en Europe et aux États-Unis. Deux mondes qui ont marqué son inspiration artistique.
A post shared by Peter Beard (@peterbeardart) on Sep 6, 2019 at 1:08pm PDT
Il s'est fait connaître pour ses photos de la savane où il surprenait les animaux en action ou en décomposition. Installé au Kenya où il avait une maison, le photographe avait documenté les persécutions qui visaient les éléphants, ainsi que les rhinocéros.
Mais il a aussi marqué la photographie pour ses portraits de femmes sculpturales, poitrine à l’air, ou ses photos de mode non moins mémorables, comme ces image de mannequins à moitié nus posant avec un rhinocéros ligoté ou nourrissant les girafes, la nuit. "La dernière chose qu’il reste de la nature c’est la beauté des femmes", avait-il déclaré en 1997 au quotidien britannique The Observer.
A post shared by Bon Temps mag (@bontempsmag) on Apr 21, 2020 at 7:03am PDT
"Il n’avait peur de rien, avait un charme fou et séduisait toutes les femmes"
À ceux qui l’ont connu, il laisse le souvenir d’un très bel homme, élégant, excentrique, séducteur, croqueur de femmes et d’aventures. "Il bravait toutes les autorisations requises et entrait où il voulait, surtout dans les lieux interdits d’accès. Il n’avait peur de rien, avait un charme fou et séduisait toutes les femmes", se souvient Anne Clergue, la fille de Lucien Clergue, fondateur des rencontres d’Arles, qui lui rend un dernier hommage dans L'Œil de la Photographie.
Le danger ne lui a jamais fait peur. À Arles, dans sa vingtaine, il saute dans les arènes des corridas pour prendre les taureaux en photo avec "une fougue qu’il n’a jamais perdue", selon Anne Clergue. Une énergie avec laquelle il a photographié les animaux sauvages toute sa vie, quitte à se mettre en danger. En 1996, il se fait renverser par un éléphant en Tanzanie. L’animal lui broie la cuisse et lui défonce le bassin. "Pour la baise, c’est fini", aurait-il alors déclaré.
A post shared by Andy Warhol (@aaandygrams) on Jan 22, 2020 at 1:41pm PST
Très tôt, il fraye avec le milieu artistique européen. Peter Beard se lie d'amitié avec plusieurs artistes de renom comme Salvador Dali, avec lequel il collabore, ou Francis Bacon, avec qui il reste lié toute sa vie. Dans les années 1960, entre deux voyages en Afrique, il secoue la fête new-yorkaise avec Andy Warhol ou Truman Capote. Puis il plonge dans le monde du show-business et documente en 1972 la tournée des Rolling Stones, "Exile On Main Street" pour le magazine Rolling Stones. Mais celui qui a fait la fête jusqu’à la fin de sa vie a toujours gardé ses distances : "Les soirées en ville, c'est très relaxant pour moi, parce que je ne fais pas partie de ce monde. D'ailleurs, qui voudrait vraiment en faire partie ?", avait-il déclaré.
A post shared by Dominique Issermann (@dominiqueissermann) on Apr 20, 2020 at 5:49am PDT
Une vision écologique de l'Afrique controversée
Son monde est plutôt à chercher du côté de l’Afrique, continent qu’il découvre à ses 17 ans alors qu’il quitte le Queens pour l’Afrique du Sud. Au début des années 1960, Peter Beard travaille dans le Parc National Tsavo au Kenya, époque à laquelle il a photographié et documenté (illégalement) la mort de 35 000 éléphants et de 5 000 rhinocéros noirs. En 1965, il publie son opus "The End of the Game" ("La fin d'un monde", en français). En texte et photos, il y décrit - déjà à l'époque - un continent acculé, qui voit dépérir ses espèces sauvages, notamment les éléphants.
"Plus l’homme est allé loin en Afrique, plus vite la vie a quitté le continent, au large des plaines, en dehors de la brousse… jusqu’à disparaître dans des masses de trophées, de peaux et de carcasses", y explique Peter Beard.
A post shared by Carioca DNA (@cariocadna) on Apr 21, 2020 at 6:03am PDT
Dans son livre, il met en lumière la destruction des écosystèmes et dénonce l'action de la civilisation occidentale sur les équilibres locaux. Selon lui, le modèle de préservation des éléphants - confinés dans des parcs protégés d'où les chasseurs indigènes étaient proscrits - lancé au Kenya au début des années 1960, aurait mené des dizaines de milliers d’animaux à la famine. Une vision écologique encore controversée aujourd'hui.
"La destruction de l’Afrique a bien lieu"
Peter Beard se disait proche des Africains, mais il était loin d’un discours romantique ou d’une vision humanitaire. L’homme a la peau dure : "Le sentimentalisme n'a aucun rapport avec l'Afrique. La vie sauvage a été sentimentalisée par des bailleurs de fonds malhonnêtes, du genre Walt Disney", disait-il en 1996 à Libération, lors de sa grande exposition parisien au Centre national de la photographie.
Dans cette vaste exposition, il présente ses images et ses carnets sur un continent amoché : "On a toujours dit qu'un territoire comme l'Afrique était impossible à détruire. Mais la destruction a bien lieu, et à une vitesse que vous n'imaginez pas !" Pour dramatiser sa représentation d’une Afrique au bord du gouffre, il n’hésitait pas à retravailler ses images à l’encre de chine ou les encadrer de son propre sang.
#pamphlet #peterbeard #photographer #rip #francisbacon #portrait #painting
A post shared by PAMPHLET (@p_a_m_p_h_l_e_t) on Apr 21, 2020 at 5:17am PDT
Son grand ami Francis Bacon, qui a peint une trentaine de portraits du photographe, considérait que ses photos les plus fortes étaient "celles d’éléphants en décomposition, sur lesquelles les carcasses se transforment progressivement en de grandioses sculptures, qui au-delà de simples formes abstraites portent l’empreinte de la vanité et du tragique de la vie." Vanité et tragique, des mots justes pour résumer ce destin hors du commun.