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Depuis deux ans, Banlieues santé s'attache à faire passer les messages de prévention aux habitants des quartiers populaires. Mobilisée en Île-de-France et à Marseille, l'association redoute aujourd'hui les conséquences sanitaires de la crise du Covid-19 dans ces quartiers.
"Déconfinement." Le mot est sur toutes les lèvres. Le 19 avril, lors d'une conférence de presse à Matignon, Édouard Philippe a esquissé les grandes lignes du "monde d’après", autant attendu que redouté. Alors que le Premier ministre s’exprimait sur le retour des élèves à l’école ou le port du masque, Abdelaali El Badaoui prenait des notes et esquissait la suite de son propre plan "banlieue". À 36 ans, cet infirmier libéral s’est donné une mission : faire passer les messages de santé publique aux habitants des quartiers populaires.
Abdelaali El Badaoui n’a pas attendu l'apparition du Covid-19 pour s’atteler à cette tâche. Celui qui a grandi à Montereau-Fault-Yonne, en Seine-et-Marne, a très tôt ressenti la nécessité de cette médiation médico-sociale. "Dans les quartiers, les habitants ont souvent du mal à recevoir ou à comprendre les informations du gouvernement", explique-t-il à France 24.
L'application #EnModeConfiné
En 2018, il a fondé l’association Banlieues santé qui œuvre à "l’inclusion sociale et médicale" des publics généralement éloignés des parcours de soin. Son action est ancrée dans les quartiers prioritaires de la ville (QPV), marqués par des inégalités sanitaires criantes (déserts médicaux, espérance de vie plus courte, prévalence des maladies chroniques…). Une expertise qu’il a pu mettre à profit dès le début de la crise sanitaire.
Premier objectif : faire comprendre les gestes barrières et les mesures de confinement à tous, notamment à ceux qui ne parlent pas français. En une semaine, avec l’aide de Contournement, une start-up bretonne qui développe des sites et des applications sans recourir au codage, Banlieue Santé a lancé l’appli #EnModeConfiné. Gratuite et téléchargeable sur mobile et ordinateur, celle-ci propose des vidéos expliquant les consignes sanitaires en plusieurs langues, dont le portugais, le roumain, le peul ou encore la langue des signes.
"Après avoir travaillé sur le confinement, maintenant on va s’atteler au déconfinement ! Et ça ne va pas être simple, il va falloir expliquer et traduire toutes les nouvelles règles", détaille Abdelaali El Badaoui un dimanche soir au téléphone, tout en avalant son dîner après une longue journée commencée dès 7 h... sur le terrain. Car pour cet infirmier très conscient des problématiques de fracture numérique sur le territoire, le développement de l’application ne peut pas remplacer le contact humain.
Un relais médical pour les malades isolés
Depuis le début de la crise, Abdelaali El Badaoui et les 5 000 bénévoles de Banlieue Santé sont à pied d’œuvre dans les quartiers d’Île-de-France et de Marseille. Ils y distribuent des "colis de confinement" (nourriture et kit d’hygiène pour une semaine) auprès des publics les plus fragiles, à 80 % des personnes âgées. "Il était indispensable d’aider les gens à rester chez eux", explique Adbelaali El Badaoui. Depuis le début du confinement, Banlieue Santé estime avoir aidé plus de 2 000 bénéficiaires.
"C’est une action à impact rapide", précise à Pas2Quartier Yassine Ennomany, coordinateur de Banlieue Santé pour la région de Marseille. C’est aussi une action de veille sanitaire à plus long terme. Tout en respectant un protocole d’hygiène très strict, afin que la "chaîne de solidarité ne devienne pas chaîne de contagion", les bénévoles profitent de leur passage à domicile pour faire le point sur l’état de santé des bénéficiaires et proposer un relais médical à ceux qui en ont besoin.
"Nous pouvons voir comment vont les bénéficiaires, planifier des consultations à distance avec les médecins traitants ou préconiser un suivi sanitaire", poursuit Yassine Ennomany. Un suivi qui constituera le principal enjeu des mois à venir. "Il y a l’accident Covid mais on redoute la crise sanitaire post-Covid, car il y a eu un flottement au niveau du suivi des autres pathologies", déplore Yassine Ennomany, inquiet des "ruptures de parcours de soin".
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"La crise n’a fait qu’accroître les inégalités de santé"
Entre confinement, peur de contracter le virus et saturation des hôpitaux, les consultations médicales ont baissé dans toute la France, au risque de mettre "en péril la santé et la vie des malades", comme l’a soulevé le ministre des Solidarités et de la Santé Olivier Véran, le 19 avril. Les quartiers populaires n’ont bien sûr pas été épargnés par ce phénomène.
En Seine-Saint-Denis (93), comme partout en Île-de-France, les urgences hors Covid-19 ont observé un recul des admissions. "Il y a une baisse de 50 % des AVC et des infarctus du myocarde dans les urgences", observait début avril, sur France 5, le Pr Frédéric Adnet, directeur médical du Samu 93 et chef du service des urgences de l’hôpital Avicenne, à Bobigny.
Les cabinets libéraux, eux aussi, ont enregistré une baisse des visites alors que les téléconsultations ont du mal à se mettre en place dans les quartiers défavorisés. "On voit clairement la fracture numérique, relate dans Libération Arnaud Dubédat, généraliste à la tête du Centre municipal de santé Louise-Michel de Romainville. Il y a des gens qui sont laissés sur le bord de la route. Ils ne maîtrisent pas WhatsApp ou pas assez bien la langue française pour réussir à nous appeler."
Un drame quand on sait que les milieux défavorisés sont plus largement touchés par des pathologies chroniques, comme le diabète, l'obésité ou l'hypertension artérielle, qui nécessitent un suivi régulier des patients.
"La crise du Covid n’a fait qu’accroître les inégalités de santé", déplore Abdelaali El Badaoui, qui estime qu’il faudra rester plus que jamais mobilisés après la crise. Pour poursuivre l'action de Banlieues santé, une cagnotte a été créée sur le site de financement participatif Ulule : "Covid-19 / Solidarité envers les plus fragiles". "L’organisation mise en place pendant le Covid va nous permettre d’inscrire notre action dans la durée", souligne de son côté Yassine Ennomany.