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Filmer les funérailles d'un proche en direct sur Facebook ou Instagram – l'idée peut paraître surprenante mais, en temps de confinement, de plus en plus de familles y ont recours. Une façon, pour elles, d'honorer leurs proches.
Quand Serge Deruette a préparé les obsèques de sa mère Mariette, emportée le 11 mars à l'âge de 89 ans par le Covid-19, il ne voulait pas qu'en plus, ce "foutu virus" impose ses conditions dans l'organisation de son enterrement. "Je voulais lui offrir des obsèques dignes de ce qu'elle méritait", confie à France 24 le Belge de presque 60 ans.
Sauf qu'avant même le début du confinement instauré en Belgique – l'arrêté ministériel sur les mesures d'urgences pour limiter la propagation du virus a été émis le 18 mars 2020 –, les entreprises funéraires ont été dans l'obligation, pour protéger leur personnel, d'instaurer des règles, mouvantes chaque jour et plus ou moins souples selon les régions. Si certains funérariums et crématoriums ont choisi de fermer leurs portes, d'autres ont décidé de limiter le nombre de personnes lors des cérémonies (entre 10 et 20) et d'interdire l'exposition du corps du défunt. En France, un dispositif similaire a été mis en place par décret le 18 février.
Ces mesures ont compliqué la donne pour Serge Deruette. Entre la famille, les amis, ses collègues et ses étudiants, le professeur de sciences politiques de l'université de Mons attendait la présence d'une centaine de personnes le jour de l'enterrement. Sans compter que celui qui s'est quotidiennement rendu au chevet de sa "Mam" durant ses derniers jours, est aussi suspecté d'avoir été contaminé. Il se fait rapidement une raison. "À quoi ça sert de rassembler si c'est pour propager le virus ?", reconnaît-il. Et se résout à n'inviter que le premier cercle de proches.
"Une injustice supplémentaire"
Il se refuse toutefois à laisser le virus gagner une nouvelle fois contre sa mère en la privant totalement des siens. "Une injustice supplémentaire", selon lui. Quatre jours avant l'enterrement, il décide de filmer les funérailles et de les diffuser sur Facebook.
"J'ai contacté un ami qui m'a dit qu'un smartphone suffisait", précise-t-il avant d'ajouter : "Comme je ne suis pas un mordu d'informatique, mon ami a accepté de venir pour organiser le Facebook live".
La cérémonie, qui s'est tenue le 14 mars dans le crématorium d'Uccle, près de Bruxelles, a été retransmise sur le compte de Serge Deruette, en public. Depuis leur écran, les cousins de Mariette et son amie d'enfance, qui n'ont pu faire le déplacement, ont pu visionner l'hommage de Serge Deruette à sa mère. Sur les chansons d'Yvette Horner et de Jacques Brel, un diaporama a aussi retracé la vie de cette femme passionnée de chats et d'accordéon. Environ 400 personnes ont pu assister à ces obsèques virtuelles qui ont duré 15 minutes. "J'ai reçu environ 500 commentaires, ça fait au chaud au cœur", assure-t-il. Deux jours plus tard, 1 200 personnes avaient visionné cette vidéo.
Serge Deruette ne regrette pas son choix. Ce moment de recueillement collectif – même virtuel – compte. Reste que le jour de l'enterrement de sa mère, il se dit, sur Facebook, "triste de ne pas pouvoir [vous] serrer dans mes bras". Il compte bien y remédier dès la fin du confinement : "Alors promis, on fera une fête autour 31 août pour son anniversaire. Elle aurait eu 90 ans. Et cette fois, vous serez tous conviés".
Les funérailles 2.0 n'ont pas vu le jour avec le confinement
Cette démarche personnelle est loin d'être un cas isolé. Ce même 14 mars, d'autres obsèques ont été retransmises en direct sur les réseaux sociaux. En Italie cette fois-ci, pour les funérailles de Priscilla, morte à 17 ans. La cérémonie, à laquelle quelques proches ont pu participer avec un masque, a duré une heure. Elle a été regardée par 9 000 personnes sur la page Facebook de l'église évangélique, raconte La Stampa.
En France, la vidéo des obsèques de Cyril Boulanger, cet agent de la RATP de 38 ans, champion de judo et père de deux enfants décédé du Covid-19, a été vue plus de 16 000 fois. "Elle a suscité de nombreux commentaires émouvants, témoignant de la solidarité avec la famille", rapporte le Courrier Picard, le 16 avril.
Ces cérémonies funéraires en ligne n'ont pas vu le jour avec le confinement. "De nombreux endeuillés y recourraient déjà pour diverses raisons", précise à France 24 Hélène Bourdeloie, maître de conférences en sciences de l'information et de la communication à l'université de Sorbonne Paris Nord. Les étudiants et les personnes vivant à l'étranger qui ne peuvent se rendre aux obsèques, cite notamment en exemple la sociologue du numérique. "Dans certains cas, faute de mieux, ces obsèques en ligne aident au processus de deuil", décrypte-t-elle.
"C'est d'une violence inouïe d'enterrer ses proches par Skype"
Mais en période de confinement, de plus en plus de familles se tournent vers les obsèques 2.0. L'entreprise de pompes funèbres musulmanes El Imded, basée à Nanterre, a vu cette pratique doubler depuis le début du confinement. "On n'avait jamais proposé ce service auparavant, explique le gérant, Lotfi Benabid. Aujourd'hui, une famille sur deux nous demande de filmer les cérémonies sur WhatsApp ou Viber pour les proches restés en Algérie."
Si El Imded, qui n'a pas les moyens de proposer ce service par manque de personnel, laisse les familles le faire, certaines entreprises funéraires l'incluent dans leurs prestations. Selon les données du blog Happy End, dédié à libérer la parole sur la mort et les enterrements, elles sont plus d'un tiers à proposer de filmer ou de prendre des photos de la cérémonie pour les proches qui n'assistent pas à la cérémonie. "42 % d'entre eux la partagent en live sur Instagram, 30 % sur Facebook, et 5 % via Skype", peut-on lire sur le site.
Reste que la diffusion sur les réseaux sociaux de ce moment intime peut paraître, aux yeux de certains, intrusif ou impersonnel. Pas de poignées de mains ni d'accolades, d'embrassades ou même d'interactions physiques, comme dans les cérémonies traditionnelles. "C'est d'une violence inouïe d'enterrer ses proches par Skype ou autre sans leur dire au revoir physiquement, sans leur toucher éventuellement le corps, le front, donner un dernier baiser", estime la sociologue Hélène Bourdeloie. "Surtout qu'en France, on reste encore très attaché aux rites traditionnels en matière funéraire."