![Comment le coronavirus est devenu une affaire de classes en Amérique du Sud Comment le coronavirus est devenu une affaire de classes en Amérique du Sud](/data/posts/2022/07/25/1658728731_Comment-le-coronavirus-est-devenu-une-affaire-de-classes-en-Amerique-du-Sud.jpg)
Les premiers foyers de contamination au Covid-19 en Amérique du Sud sont apparus parmi les populations les plus riches. Mais après avoir touché les amateurs de sports d’hiver ou les descendants de têtes couronnées, le coronavirus s’attaque aux populations les moins favorisés. De quoi raviver un sentiment de lutte de classes.
C’est un drame qui a fait grand bruit au Brésil. Le 19 mars, Cleonice Gonçalves est devenue l’une des premières victimes du Covid-19 dans le pays. Cette femme de 63 ans avait été contaminée par son employeuse, une riche brésilienne qui n’avait pas jugée utile de prévenir sa gouvernante qu’elle avait été exposée au coronavirus durant ses vacances en Italie.
La tragédie a entraîné une vague de messages outrés sur les réseaux sociaux au Brésil contre l’employeuse "qui soupçonnait avoir été contaminée durant son voyage mais n’avait pas voulu se faire dépister", ont souligné les autorités de Miguel Pereira, la petite ville où habitait Cleonice Gonçalves. C’est aussi une histoire qui résume bien le sentiment de plus en plus persistant en Amérique du Sud que le coronavirus est une affaire de riches dont les pauvres vont payer le prix fort.
Ski au Colorado et mariage huppé
Dans plusieurs pays de la région, la maladie semble, en effet, avoir été importée par les élites. Au Mexique, le "mur" de Donald Trump n’a pas empêché des mordus de ski de ramener le virus de la très huppée station de sports d’hiver de Vail, dans le Colorado. Une vingtaine de riches Mexicains, dont le patron de la Bourse de Mexico et le PDG de la marque de téquila José Cuervo, ont été contaminés entre deux descentes de ski, selon les autorités sanitaires mexicaines. Elles soupçonnent une compétition de snowboard, le 24 février, à laquelle ont participé des athlètes italiens, d’être le foyer d’exportation du Covid-19 vers le Brésil. Un mois plus tard, le pays compte plus de 2 400 cas avérés de contamination au coronavirus.
En Uruguay, une célèbre styliste est accusée d’avoir permis au virus de se propager dans ce petit pays enclavé entre l’Argentine et le Brésil. À peine rentrée d’un voyage en Espagne, où la pandémie avait déjà commencé à faire ses premières victimes, Carmela Hontou a assisté à un mariage au sein de la bonne société uruguayenne réunissant près de 500 personnes, début mars. Porteuse du virus, elle aurait contaminé plus de 40 personnes à cette occasion, estiment les autorités locales.
Accusée de négligence, coupable de ne pas s’être isolée après être rentrée d’un pays à risque, Carmela Hontou risque d’être poursuivie devant les tribunaux pour avoir "propagé une maladie contagieuse", rapporte le quotidien britannique The Guardian. Elle conteste ces accusations et a déploré à plusieurs reprises avoir "être traitée comme une terroriste qui aurait ramené le virus pour tuer tout le monde".
Même les descendants de Pedro II, le dernier empereur du Brésil, sont soupçonnés d’avoir joué, à leur insu, un rôle dans la propagation du virus en Amérique du Sud. C’est, en effet, au dîner de fiançailles de l’arrière-arrière-arrière-petit-fils de Pedro II, le 7 mars, que certains des premiers cas avérés de contamination au Covid-19 ont été recensés. Près de la moitié des 70 convives ont été testés positifs au coronavirus.
Sentiment de classe
De ce repas fatidique, le virus se serait ensuite introduit dans le cercle très restreint d’un club de Rio Janeiro, dont seuls 0,00041 % des Brésiliens les plus riches ont la clé. Ce petit paradis de l’entre-soi pour richissimes Covid-19 est considéré comme l’un des premiers foyers de contamination du pays.
Cette entrée par le sommet de la société du virus en Amérique du Sud a poussé Miguel Barbosa, le gouverneur de l’État mexicain de Puebla, à déclarer que "si vous êtes riches, vous courrez un risque, mais si vous êtes pauvre, vous êtes immunisé !". Après tout, pour être exposé au virus, il faut avoir les moyens de voyager dans les régions où le coronavirus est déjà bien implanté, ce qui reste le privilège d’une minorité dans cette région du globe, l’une des plus inégalitaire du monde.
Mais c’est ignorer que cet agent pathogène n’a aucun sentiment de classe. "Après avoir visité les penthouses des plus riches, le virus va immanquablement descendre dans le sous-sol de notre bâtiment national, où se trouvent ceux qui ont le moins de moyens", assure l’hebdomadaire de gauche mexicain Proceso.
Et c’est là que la bât blesse pour certains observateurs. "Il va sans dire que les plus vulnérables seront aussi ceux qui vont le plus souffrir de cette épidémie. C’est structurel", a écrit Djamila Ribeiro, célèbre philosophe brésilienne, dans un article paru dans Folha de S. Paulo, l’un des plus influents quotidiens brésiliens. En effet, "les plus fortunés ont les moyens de payer pour être dépistés rapidement, peuvent se payer les meilleures cliniques privées et ne sont pas obligés de dépendre d’un système de sécurité sociale qui va rapidement être submergé", prévient Proceso.
Le coût du confinement
Les quartiers populaires des grandes agglomérations favorisent aussi davantage la propagation que les zones résidentielles où résident les plus riches, déplore le journal de gauche argentin Diario Rio Negro. Le confinement risque d’être beaucoup moins efficace dans les immenses bidonvilles où les habitants ne peuvent pas échapper à une promiscuité qui rend le concept d’isolement très relatif.
Le confinement a aussi un coût économique très différent selon qu’on est nanti ou non. "C’est le même problème partout dans le monde, mais démultiplié en Amérique du Sud à cause de ces disparités de revenus plus accentuées qu’ailleurs", souligne à la chaîne américaine ABC Geoff Ramsay, un chercheur au Bureau de Washington sur l’Amérique latine, une ONG qui promeut les droits de l’Homme en Amérique du Sud. Il n’est pas rare que des foyers de plusieurs personnes dépendent du travail d’un seul individu, qui, du jour au lendemain, se retrouve privé d’activité à cause des mesures de confinement.
Cette inégalité face au coronavirus a poussé plusieurs publications sud-américaines de gauche, notamment au Chili et en Argentine, à soutenir que cette pandémie remettait en cause le modèle ultralibéral de développement économique adopté par une partie des pays de la région.
Les riches se sont aussi retrouvés dans le collimateur de certains politiciens. Au Chili, Jaime Manalich, le ministre de la Santé, a dénoncé une certaine nonchalance quant aux consignes de confinement après avoir constaté "personnellement en les appelant" que certains de ces concitoyens les plus aisés ne restaient pas chez eux.
Mais stigmatiser une partie de la population est contre-productif, d’après Jennifer Nuzzo, épidémiologiste à à l’Université Johns-Hopkins, interrogée par le Wall Street Journal. En effet, les personnes présentant des symptômes vont alors hésiter à aller voir un médecin de peur d’être pointées du doigt, ce qui va ralentir la détection des cas et favoriser la propagation du virus qui, au final, fera le plus de ravages parmi les populations les moins favorisées. Donc, selon elle "les politiciens qui blâment les riches pour cette situation mettent, en réalité, en danger les plus pauvres".