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Le coronavirus dans les Ehpad (1/3) : "Ce n'est plus du travail mais de la survie"

En annonçant qu’au moins 884 personnes étaient décédées des suites du coronavirus dans les Ehpad, le gouvernement a pour la première fois levé le voile sur la tragédie qui se joue dans ces structures à huis clos. Entre les résidents confinés, et parfois déprimés, et les patients contaminés, des aides-soignantes racontent leur quotidien bouleversé.

Chaque jour, la France compte ses morts du coronavirus. Dans les hôpitaux, et désormais dans les Établissements d'hébergement pour les personnes âgées dépendantes (Ehpad). Le gouvernement a annoncé jeudi 27 mars — avec quatre jours de retard sur ce qui était initialement prévu — qu’au moins 884 personnes avaient succombé au Covid-19. Une donnée "très partielle" qui pourrait être largement sous-évaluée puisque "tous les établissements n’ont pas encore remonté leurs cas", a précisé le directeur général de la Santé, Jérôme Salomon.

Dans un Ehpad de Wittenheim, près de Mulhouse, neuf personnes sont décédées en dix jours, dont sept présentant des symptômes du coronavirus. "Une seule a été testée positive", précise Sarah, 25 ans, qui y travaille en tant qu’aide-soignante. Les autres n’ont pas pu être dépistés, faute de tests. L’Agence régionale de santé (ARS) du Grand Est, qui effectue un décompte régional, recensait au 31 mars 570 décès en Ehpad, dont plus de la moitié dans le Haut-Rhin.

Le constat est le même dans la structure où travaille Muriel, dans le Maine-et-Loire. "On déplore deux décès mais on ne sait pas de quoi", précise l’assistante de vie de 43 ans. "Impossible de dépister les patients", dit-elle, et l’ARS du Pays-de-la-Loire ne dispose pas de données régionales.

"J’ai peur qu’ils décèdent seuls dans leur chambre"

Face à l’ampleur de l’hécatombe, le quotidien n’est pas toujours facile à gérer pour le personnel soignant qui se trouve en première ligne. "J’ai peur qu’ils décèdent tous seuls dans leurs chambres, loin de tous, confesse Sarah. Que leur dernier souffle, ils les partagent avec nous. Ce n’est pas du travail que nous faisons. C’est de la survie".

Le confinement des résidents des Ehpad a commencé avant le reste des Français. Entre fin février et début mars, selon les régions. Les résidents sont isolés dans leur chambre, contraints d’y manger seuls avec des plateaux-repas. "Ils n’ont plus eu la moindre visite depuis quatre semaines, rappelle Sarah. Beaucoup le vivent très mal, ils dépriment".

Des dons de masques et de nourriture

Certains résidents sont lucides quand d’autres demandent plusieurs fois par jour pourquoi les familles ne viennent pas. "On essaie d’éviter les infos à la télé parce qu’elles sont trop angoissantes", assure l’aide-soignante de Mulhouse, en voyant que certains refusaient de manger. L’anxiété est palpable chez les personnes âgées. "L’une d’entre elle m’a demandé de l’aider à rédiger son testament pour laisser ses bijoux à sa fille", raconte-t-elle.

Les activités, comme la coiffure, la pédicure ou les spectacles, sont suspendues. "On a la chance d’avoir un animateur qui vient encore deux à trois fois par semaine pour mettre en place des visioconférences avec les familles pour égayer leur quotidien", raconte Sarah. Les balades dans les jardins sont également maintenues, en prenant soin de respecter les distances de sécurité.  

Dans ce contexte particulier, la solidarité est venue souder les équipes. "Nous sommes soutenus par la direction qui n’hésite pas à enfiler la blouse mais aussi nos proches", affirme Muriel. Puis, les dons de masques ou de nourriture ont aussi permis de garder les troupes motivées. "A chaque fois, on avait un modèle différent, commente-t-elle. Certains venaient de dentistes, de la mairie, ou encore de personnes qui font des diagnostics pour l’amiante", s'amuse-t-elle.

"Ma vocation, c’est d’aider les autres"

De son côté, Catherine, 54 ans, responsable d’une unité de soin dans un Ehpad des Alpes-Maritimes, affiche une motivation intacte. Pour cause, son établissement, confiné depuis fin février, ne déplore pour l’heure, aucun cas de Covid-19. "Ma vocation, c’est d’aider les autres", affirme-t-elle, ajoutant prendre toutes les précautions nécessaires au travail et à la maison. Chaque matin, avant d’entrer dans l’établissement, sa température est contrôlée.  

En cas de contamination des résidents, Catherine s’est portée volontaire pour les accompagner dans la zone Covid-19, installée dans une des salles de restauration de son établissement. "Dans cet hôpital de campagne" sont déjà installés des lits, des respirateurs, des chariots de soin, ainsi que des surblouses et des lunettes pour le soignant. Tout est prévu pour que le personnel puisse y dormir. "Je serais en isolement avec eux", explique Catherine, qui refuse de laisser cette place aux plus jeunes. "Hors de question qu’ils risquent leur vie", poursuit-elle. "Pour ce genre de postes, il faut savoir ne pas paniquer."

Muriel, elle, a d'abord été assignée à "la zone Covid" dans son Ehpad du Maine-et-Loire. Malgré une zone fermée avec des portes coupe-feu, elle garde en mémoire quelques défaillances sur les mesures de précaution pour le personnel. "On avait un seul masque par jour et les surblouses étaient lavées une seule fois en fin de journée, après avoir été utilisées par trois personnes différentes", décrit l’assistante de vie.

"On ne pense pas aux Ehpad"

Après deux week-ends dans cette unité dédiée, Muriel a fait le choix de renoncer à son poste par peur d’être contaminée. Dans la vie, elle s’occupe aussi de son père qui, à 75 ans, est atteint de la maladie de Parkinson. "J’ai honte, c’est peut-être lâche, mais je n’avais pas vraiment le choix", se défend celle qui vit désormais confinée avec ses parents.

Pas toujours facile d’être sur le front. Surtout que la colère du personnel soignant monte vis-à-vis du gouvernement. "Le confinement a été imposé trop tardivement", estime Sarah. D’où un sentiment de déconsidération. "La priorité, c’est les hôpitaux mais on ne pense pas aux Ehpad. On ne parle jamais de nous", s’indigne l’Alsacienne avec son "salaire de merde" qui avoisine les 1 300 euros net. Mais elle tient bon. "Si on n’est pas là pour les résidents, qui fera le travail ?"