![Le coronavirus aura-t-il la peau du capitalisme néolibéral ? Le coronavirus aura-t-il la peau du capitalisme néolibéral ?](/data/posts/2022/07/25/1658727926_Le-coronavirus-aura-t-il-la-peau-du-capitalisme-neoliberal.jpg)
Patrick Artus, économiste en chef de la banque d’investissement Natixis avance l'idée que la crise du coronavirus saperait les fondements même du capitalisme néoliberal, qui pourrait ne pas y survivre. Mais Patrick Artus plaide-t-il réellement pour une remise à plat global du modèle économique dominant ou juste pour une correction de certains de ses excès ?
Le capitalisme néolibéral tué par le Covid-19. Cette affirmation ne vient pas des recoins de la gauche altermondialiste, mais de Patrick Artus, le très libéral chef économiste de la banque d'investissement Natixis, dans une courte note d'analyse économique, publiée lundi 30 mars.
À deux jours près, on aurait pu penser à un poisson d'avril. Une banque d'investissement qui annonce la fin du système économique qui fit sa fortune ? CheckNews, le site de fact-checking du journal Libération, a même estimé utile de publier un article confirmant la réalité de cette note d'analyse, largement reprise sur les réseaux sociaux.
Saper les principaux piliers du capitalisme néolibéral
Patrick Artus en est bien l'auteur. Dans ce document de six pages, il explique que la crise sanitaire actuelle va saper les trois principaux piliers du capitalisme néolibéral tel que nous le connaissons. L'économiste prédit l'effondrement de la globalisation, la fin des délocalisations à marche forcée, et un retour en force de la dépense publique, qui va mettre un terme à la tentation néoliberale à rechercher la baisser des impôts à tout prix.
Le Covid-19 a déjà commencé à grignoter ces fondamentaux du modèle économique dominant, constate ainsi Patrick Artus. Les investissements directs en Chine reculent, ils stagnent en direction des autres pays émergents et le commerce mondial tourne au ralenti. Autant de signes d'un début de "déglobalisation". "La crise du coronavirus a mis en évidence la fragilité des chaînes de valeur mondiale : quand la production s'arrête dans un pays [la Chine, NDLR], toute la chaîne est arrêtée", remarque-t-il. C'est pourquoi, il estime probable une relocalisation des investissements à l'échelle régionale pour minimiser ces risques.
De son côté, l'État a pris conscience de la nécessité de revenir à une "politique industrielle qui implique qu'il [faille] produire nationalement un certain nombre de produits stratégiques, comme les médicaments, des équipements télécom et du matériel pour le développement des énergies renouvelables", poursuit Patrick Artus. Le président Emmanuel Macron n'avait pas dit autre chose dans son discours du 16 mars en qualifiant de "folie" le fait de "déléguer notre alimentation, notre capacité à soigner, notre protection à d'autres [pays]".
La crise sanitaire a aussi démontré l'importance d'assurer "une protection sociale convenable pour toute la population", affirme l'auteur de la note pour Natixis. Les milliards d'euros mobilisés en urgence par tous les pays pour minimiser l'impact économique de la pandémie sont, certes, d'une ampleur exceptionnelle, mais seraient symptomatiques d'une tendance qui se dessine. "Les gouvernants ont pris conscience de la nécessité de protéger financièrement les individus pour ne pas avoir à agir en urgence en cas de choc", précise Pascal de Lima, économiste en chef au cabinet de conseil financier Harwell Management, contacté par France 24.
Redresseur des torts du néolibéralisme ?
Il faudrait donc s'attendre à une hausse des impôts, rendue nécessaire pour financer le retour en force de l'État providence, qui était tombé en disgrâce au profit d'un gouvernement qui, sur le modèle anglo-saxon, laissait le marché agir à sa guise. Pour Patrick Artus, le temps de la course aux baisses d'impôts, qui faisait le bonheur des multinationales toujours promptes à faire jouer la concurrence fiscale pour choisir où s'implanter, arrive à son terme.
L'économiste en chef de Natixis ferait-il son "coming out" marxiste ? Après tout, il s'était déjà fendu en février 2018 d'une note intitulée "Et si Marx avait raison ?" dans laquelle il défendait l'idée que le capitalisme était à bout de souffle. "Patrick Artus sait jouer de son autorité économique indiscutable pour susciter la réflexion en lançant des idées controversées", rappelle Pascal de Lima qui souligne que l'économiste est capable, d'une note à l'autre, de dire une chose et son contraire en fonction des modèles économiques retenus.
En réalité, Patrick Artus n'annonce pas le démantèlement du modèle économique actuel, mais prévoit, en conclusion de sa thèse, "la fin de cette forme de capitalisme". En d'autres termes, le Covid-19 pourrait devenir le redresseur des torts du néolibéralisme "en corrigeant ses excès", décrypte Pascal de Lima.
À quoi ressemblerait un tel néolibéralisme sain ou assaini ? "Il peut y avoir un interventionnisme intelligent avec une petite dose de protectionnisme et une régulation ciblée des marchés sans pour autant remettre à plat tout le modèle économique", veut croire Pascal de Lima. Des pistes de réformes du capitalisme qui ne sont pas nouvelles, mais qui étaient jusqu'à présent restées lettres mortes. Le coronavirus forcerait ainsi la main à des décideurs qui auraient trop longtemps repoussé la nécessité de remettre de l'ordre dans le fonctionnement de la globalisation.
Métiers réhabilités
Une telle inflexion du capitalisme aurait des conséquences parfois inattendues. "Il faut s'attendre à une réhabilitation de certaines professions qui ont démontré toute leur utilité durant cette crise sanitaire, alors qu'elles étaient négligées au profit d'autres métiers plus en phase avec la logique du capitalisme néolibéral", estime Pascal de Lima. Le personnel hospitalier, les métiers de l'éducation ou encore le commerce de proximité pourraient se retrouver mieux soutenus financièrement par l'État, tandis que l'urgence à promouvoir certaines start-up qui brassent "autant de vent que d'argent" pourrait disparaître.
Les multinationales qui se délectaient de la course à l'échalote fiscale pour minimiser leurs impôts pourraient également pâtir de l'importance accrue que devrait prendre la dépense publique. Elles auront peut-être plus de mal à obtenir d'importants avantages fiscaux de gouvernements tentés de donner la priorité à la protection sociale.
Mais la baisse annoncée par Patrick Artus des échanges commerciaux pourrait aussi se faire au détriment des pays les plus pauvres. Conséquence du ralentissement du commerce mondial, les investissements directs vers les pays en voie de développement stagnent, privant ainsi certaines économies fragiles de l'un des principaux moteurs de leur croissance.
Le Covid-19 va donc être un crash-test pour le capitalisme néolibéral. La crise sanitaire devrait démontrer s'il est possible de sauver ce modèle économique en corrigeant simplement ces excès ou démontrer si ces excès sont devenus indissociables du fonctionnement de la globalisation. Autrement dit, la grande question économique à laquelle le coronavirus va peut-être permettre de répondre est de savoir si, comme le dit Pascal de Lima, "les excès sont devenus la norme du capitalisme néolibéral d'aujourd'hui".