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Avec le coronavirus, le retour des nationalisations en France ?

Changement de doctrine au ministère de l'Économie. Il y a encore quelques mois, Bercy militait pour les privatisations. Aujourd'hui, il opère une volte-face et évoque la nationalisation d'entreprises fragilisées par la crise sanitaire mondiale.  

Les crises révèlent nos faiblesses. Celle du coronavirus est lourde de menaces pour le tissu économique français. D'où la rédaction, mercredi 25 mars, par le ministère de l'Économie, d'une liste d'entreprises françaises à protéger. Pour l'heure, elle reste confidentielle ; pas question d'étaler au grand jour les points faibles de l'économie française et d'offrir ainsi aux concurrents des cibles à acquérir toutes crues. On imagine que des sociétés comme Renault et Air France figurent en bonne place dans cette liste.

La veille, dans une conférence de presse sur Twitter, Bruno Le Maire insistait sur la nécessité de défendre la souveraineté économique du pays soumise à rude épreuve par la pandémie de Covid-19. Il s'est dit prêt à tout pour sauver les entreprises fragilisées : garantir leurs prêts, augmenter la participation de l'État dans leur capital et même les nationaliser le temps de laisser passer l'orage.

Que signifie la nationalisation ? C'est la prise par l'État d'au moins 51 % du capital d'une entreprise. Une décision qui passe par un vote au Parlement. Évidemment dans les cas de Renault et d'Air France, dont une partie du capital appartient respectivement au japonais Nissan et au Néerlandais KLM, l'affaire n'est pas simple et nécessite une délicate approche diplomatico-économique.

"Le gouvernement, explique Éric Heyer, directeur du département analyse et prévision de l'OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques), joue sur deux tableaux : socialiser les salaires pour garantir le pouvoir d'achat des salariés à travers les aides aux entreprises et le chômage partiel, et protéger les fleurons nationaux. C'est une bonne chose et c'est totalement raccord avec les annonces du président de la République sur la protection des Français et de l'économie nationale. Et ce quoi qu'il en coûte." 

Défendre le patrimoine industriel et culturel de la France

Il paraît loin le temps où le gouvernement, frappé de la fièvre des privatisations, voulait vendre la Française des Jeux ou Aéroports de Paris (ADP). "Pas question, ajoute le ministre, de perdre le patrimoine culturel et industriel français." Le gouvernement est contraint de changer radicalement de doctrine en pleine tempête. D'où la hauteur de vue de Bruno Le Maire qui en appelle à l'édification d'un capitalisme nouveau, "plus juste, plus stable, plus égalitaire".

Le sommet de l'État est-il en train de découvrir le monde dans lequel nous vivons ? Celui d'une compétition économique mondiale où tous les coups sont permis pour préserver ou conquérir des marchés ? Pour Éric Delbecque, expert en intelligence économique qui a effectué une partie de sa carrière dans l'administration publique, il est l'heure de passer à la caisse : "Le Covid-19 nous oblige à payer la facture de notre inaction pendant ces vingt dernières années. Nous sommes complètement désarmés pour faire face à cette crise en domino." Devant l'urgence, il admet la nécessité de recourir à l'arme des nationalisations, mais il estime que cette réponse n'est pas une fin en soi.

Définir une entreprise stratégique

Il s'interroge sur ce que revêt, dans l'esprit des gouvernants, le concept d'entreprises stratégiques. Elles font partie des secteurs traditionnels comme la défense, les télécommunications ou l'énergie, mais maintenant le manque de masques et de solutions hydroalcooliques devient aussi une question vitale. Et pourquoi ne pas classer également l'agriculture ? La bataille mondiale pour l'accaparement des terres arables fait rage en Afrique mais aussi en Europe, et en particulier en France.

"Cette crise inédite, explique Éric Delbecque, nous invite fortement à tout repenser et à se rendre compte enfin que nos sociétés sont holistiques." Dans ce monde hyperconnecté, tout devient stratégique, même l'acheminement du papier toilette qui permet d'éviter des troubles à l'ordre public.

"On se rend compte, explique Éric Heyer de l'OFCE, que globalement nos économies sont beaucoup trop imbriquées les unes dans les autres." Ce qui pose des problèmes d'approvisionnement sur certains produits.

"Pourquoi, fait-il remarquer, les Allemands testent-ils plus leurs citoyens au Covid-19 que nous en France ? Parce que l'Allemagne fabrique elle-même ses propres tests." L'examen de conscience d'après-crise s'annonce sévère.