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Indonésie : avec les forçats de l’étain

Au large des côtes de Sumatra, en Indonésie, l’île de Bangka est ravagée par l’industrie minière de l’étain. Nécessaire à la fabrication des appareils électroniques, le minerai est extrait sur terre et en mer, générant des dégâts irréversibles sur l’environnement. Nos reporters Arnaud Guiguitant et Guillaume Collanges sont allés à la rencontre de ces mineurs, qui exploitent le filon par tous les moyens. 

Muntok, dans l'ouest de l’île de Bangka, en Indonésie. Au bout d’une piste en terre détrempée par un violent orage, la mine au fond de laquelle creusent une trentaine d’hommes a les couleurs de la planète Mars. Les ocres, jaunes et roses donnent un aspect de fin du monde à cette carrière géante, d’où est extraite la cassitérite, le principal minerai d’étain. Armés de simples pelles et de pioches, ils en terrassent les parois et pompent le sable, à la merci des glissements de terrain. 

Immergé dans un trou d’eau boueuse, Sofiane, 33 ans, fait partie des quelque 300—000 mineurs de l’île. Il y a sept ans, il a quitté son poste de chauffeur routier pour tenter l’aventure de l’étain : "On gagne beaucoup mieux notre vie en étant mineur. Avant, je touchais 200—000 rupiah par jour (13 euros) en conduisant mon camion. En tant que mineur, je peux gagner aujourd'hui jusqu’à cinq fois plus", explique le jeune homme, qui a pu faire construire sa maison grâce à l’argent de la mine. 

Depuis vingt ans, l’île de Bangka connaît une véritable ruée vers l’étain. Chaque année, il s’en extrait près de 80—000 tonnes, soit un quart de la production mondiale. La cause ? L'explosion, dans les années 2—000, du marché des téléphones portables, tablettes et ordinateurs à travers le monde, et donc de la demande des fabricants comme Apple, Samsung ou encore Intel pour ce minerai, qu'ils utilisent afin de souder les composants électroniques de leurs appareils.

Des mines ont alors fleuri aux quatre coins de l’île, réputée depuis trois siècles pour la richesse de ses gisements : on estime ainsi qu’un million d’hectares de terre, soit la superficie de la région Ile-de-France, est, ou a été, exploité. "Le nombre de mines légales et illégales, qui se comptent en milliers, a considérablement augmenté, car tout le monde a voulu sa part du gâteau", explique Uday Ratno, membre de l’ONG Wahli. 

Conséquences écologiques désastreuses 

Le rythme des extractions a fini par épuiser les réserves d’étain sur terre. Les mineurs ont donc jeté leur dévolu en mer de Java, en forant les fonds marins. L’un des plus importants gisements se trouvent à Batu Belubang, un petit village dont les rivages sont ravagés par les mines sous-marines. Sur des kilomètres, la mer y est marron, trouble, polluée par des centaines de radeaux et de bateaux pompant le sable à grande profondeur. "C’est le résultat de la sédimentation. Le sable stagne et retombe au fond de l’eau, recouvrant les récifs de corail. Les conséquences écologiques sont désastreuses", poursuit Uday Ratno. 

Les 45—000 pêcheurs de Bangka sont les premières victimes de la prolifération des mines. Contraints d’aller jeter leur filet au-delà des zones de forage, ils ont vu leur production drastiquement baisser, à l’instar d’Haman, pêcheur depuis 32 ans : "Avant la pêche était abondante, on attrapait les calamars près du rivage. Les mines ont détruit l’écosystème. On doit donc aller pêcher plus loin, mais c’est de plus en plus dur d’en trouver. Comment vais-je subvenir aux besoins de ma famille, s’il n’y a plus de poissons à pêcher ?", déplore-t-il.

Inquiets pour l’avenir de Bangka, certains habitants ont manifesté pour réclamer l’arrêt des mines et la mise sous protection du littoral. Des associations sont également montées au créneau pour protéger certaines îles, envahies de radeaux. Mais le combat est loin d’être gagné, car 60 % de l’économie locale dépend de l’industrie minière.