Zébrés d’autoroutes, adossés à l’un des plus grands ports de commerce de la Méditerranée, les quartiers nord de Marseille traînent une triste réputation. Les habitants se disent abandonnés et discriminés par les politiques municipales. Les candidats tentent, eux, de les convaincre que rien n’est inéluctable et qu’ils ont les moyens de changer la donne. Carnet de campagne.
À l'approche des élections municipales des 15 et 22 mars, la campagne bat son plein. Dans un appartement de la Cité de la Viste, dans le 15e arrondissement de Marseille, ils sont une dizaine à attendre le candidat de La République en marche (LREM). Quelques jeunes, des responsables associatifs, une représentante des très influents Comités d’intérêts de quartier (CIQ). Avec un peu de retard, Saïd Ahamada arrive flanqué de Mamadou Niang, l’ancien capitaine de l’OM, qui figure sur sa liste.
Les présentations faites, autour d’un cake et d’un verre d’Oasis, la discussion commence rapidement. Très vite, le député marcheur, élu en 2017 dans ces quartiers défavorisés, rappelle son parcours. Celui d’un enfant né à La Réunion, d’un père comorien, qui a grandi dans une cité de l’arrondissement voisin et s'en est sorti grâce à sa réussite scolaire.
Pour mettre tout le monde en confiance, il assène que lorsque l’on vit dans les quartiers nord (les 13e, 14e,15e et 16e arrondissements), "on n'est pas traités comme des Français à part entière", que les politiques ont décidé de ghettoïser cette partie de la ville, et que "nous méritons mieux".
L’un des jeunes présents l’interroge sur les bourses d’études, ou plutôt sur leur faible montant et sur la difficulté de les obtenir. Posément, Saïd Ahamada affirme qu’il faut investir sur les jeunes des quartiers nord "pas juste pour eux, mais aussi pour l’exemple qu’ils peuvent donner autour. Il y en a combien qui renoncent aux études parce qu’ils voient un grand frère qui a bac+5 et qui travaillent à McDo ?" Le candidat ajoute que pour la mairie, miser sur les études, "c’est de l’argent qu’elle n’aura pas à mettre dans la sécurité. Il faut que la ville donne quelque chose en plus de la bourse."
Le député dit qu’il n’est pas là pour promettre, et pourtant, c’est bien ce que la petite assistance aimerait entendre. Les questions suivantes portent sur le sport et une habitante du quartier lance à Mamadou Niang : "Moi j’adore le foot, mais ici il y a des enfants qui ne savent pas nager", soulignant l'absence de piscine municipale dans ces quartiers.
Le retraité de l’OM, qui a grandi au Havre mais est désormais installé à Marseille, abonde : "Quand je vois l’état des infrastructures sportives à Marseille, franchement je suis choqué. C’est quand même la deuxième plus grande ville de France et on ne fait rien pour les gamins, on leur enlève de l’espoir. À 12 ans, ils vont s’entraîner au foot, et il n’y a pas d’eau chaude dans les vestiaires, c’est pas possible… à 13, 14 ans ils vont essayer de dealer pour ramener de l’argent… c’est un problème. C’est pour ça que je soutiens Saïd, je me mets en danger par rapport à ma notoriété, mais j’irais jusqu’au bout."
Des quartiers abandonnés par les politiques
Historiquement acquis à la gauche, les quartiers nord s’en détournent. Scrutin après scrutin, le Rassemblement national (RN), anciennement Front national (FN), progresse. En 2014, le FN y a remporté une mairie de secteur, à la faveur d’une triangulaire, avec 35 % des voix (contre 32 % pour la gauche et la droite). En 2017, c’est La République en marche qui s’y est imposé aux législatives.
Pour Jean-Marc Coppola, le candidat local du Printemps marseillais, la liste d’union de la gauche (qui va de LFI jusqu’à des dissidents EELV en passant par le PS) les scores élevés du Rassemblement national de Marine Le Pen dans cette partie de la ville sont le fruit de ce sentiment d’abandon, de détérioration au quotidien de la vie des habitants. Cela a pour conséquence une très forte abstention.
À sa permanence de campagne, lors d’une réunion de quartier consacré à l’école, Farida Hamadi, une de ses colistière issue de la société civile, raconte le quotidien de l’école où elle enseigne, dans la cité de la Castellane, où a grandi Zinedine Zidane.
Des rats, des toits qui s’effondrent et "un individu armé d’un sabre qui s’est introduit dans l’établissement à 4 reprises. Nous avons alerté la police, qui ne s’est pas déplacée. Alors nous avons fait appel aux dealers du quartier et nous n’avons plus jamais eu de visites de cet individu" explique-t-elle devant une assistance de militants et d’enseignants à peine surpris par son récit.
Farida Hamadi poursuit en affirmant que les enfants sont polis, que "les parents, voilés ou non voilés" sont mobilisés, mais qu’elle regrette qu’ils n’aient jamais vu le Vieux-Port, à moins de 20 min de voiture (ou une heure en transport en commun) de chez eux.
"L’urgence c’est l’école. C’est une compétence de la mairie et cela n’a pas été une priorité budgétaire. C’est volontairement que Jean-Claude Gaudin [le maire Les Républicains de Marseille, en poste depuis 1995, NDLR] et son équipe ont abandonné l’action publique qui se traduit par une privatisation de tous les secteurs, notamment les écoles", accuse Jean Marc Coppola.
Samia Ghali, la sénatrice des quartiers nord, elle aussi abandonnée
Dans "sa" mairie du 15e et 16e arrondissement, Samia Ghali fait grise mine. Un poignet cassé en bandoulière, cette figure de la vie politique marseillaise enregistre depuis quelques semaines les défections. Roger Ruzé, 79 ans, l’adjoint a qui elle avait confié sa mairie de secteur en 2017, a annoncé qu’il ne la soutenait plus.
Deux autres de ses adjoints l’ont également abandonnée, fin février, pour rejoindre la liste du député LREM Saïd Ahamada. Proche de Ségolène Royal, elle s’était retrouvée en 2012 au cœur de l’actualité après avoir demandé le déploiement de l’armée dans les quartiers nord.
"À l’époque, c’était mon devoir de le dire. Les caves étaient pleines d’armes de guerre, on me disait que la police était plutôt complaisante. Je ne regrette pas, je ne retire rien. Aujourd’hui il y a encore des meurtres, mais ce qui m’inquiète encore plus, c’est cette jeunesse amorphe. Ils sont désabusés. C’est flippant comme situation quand vous avez une jeunesse qui n’a plus d’espoir en la République."
Sa campagne dissidente et solitaire est discrète, mais elle assure qu’elle a ses "réseaux". En revanche, les coups pleuvent quand il s’agit de ses concurrents à gauche. "C’est moi qui leur ai permis d’être élus, tous. La pseudo gauche qui n’a jamais travaillé sur le terrain, qui n’a jamais rien fait sur tous les dossiers, ils sont candidats, c’est la démocratie, mais c’est moi qui suis la seule à avoir battu le Front national."
Au sujet du Rassemblement national, pas de grandes envolées sur le danger que représente l’extrême droite pour les quartiers populaires de Marseille. Mais une invitation aux concurrents de gauche de se mesurer au candidat du RN, qui a remporté en 2014 la mairie des 13e et 14e arrondissements voisins.
L’assurance tranquille du parti de Marine Le Pen
Cette victoire, obtenue dans le cadre d’une triangulaire (droite et gauche étaient arrivées en 2e et 3e position, avec seulement une centaine de voix d'écart, avaient refusées tout désistement) a offert au parti de Marine Le Pen son unique mairie de plus de 100 000 habitants.
Une belle prise que Jean-Marc Coppola ou Saïd Ahamada relativisent, car selon eux, le succès du RN est surtout le résultat de l’abstention, pas moins de 55 % aux précédentes municipales, dans les quartiers nord. Et le candidat du Printemps marseillais d'ajouter : "La droite gère cette ville populaire depuis 25 ans parce que 50 % des électeurs ne vont pas voter."
À la tête de sa mairie, Stéphane Ravier, le patron des frontistes marseillais depuis plus de 20 ans n’a qu’un maigre bilan à défendre, la mairie centrale déléguant peu de compétences aux huit mairies de secteur (à Marseille, chaque secteur regroupe deux arrondissements).
Ainsi, lors d’une tournée des commerçants, il continue de jouer la partition de l’outsider antisystème qui lutte contre ceux "qui s’allient pour manger dans la gamelle" ou agitant le spectre de la fraude électorale, "une plaie qui caractérise les élections à Marseille" et assènant que "nos adversaires n’hésiteront pas à utiliser tous les moyens pour garder leur place."
Dans un bistrot, devant son pastis, un homme lui lance : "Vous me faites tous vomir." Ce à quoi Stéphane Ravier et ses colistiers lui rétorquent, posément : "Avec eux vous avez la certitude que rien ne changera, avec nous, vous courrez le risque que ça change." Et ajoute au passage un couplet sur l’intolérable pression fiscale.
Chez un primeur, le candidat échange longuement avec la mère d'un élève qui ne semble pas partager les idées du RN, mais écoute le candidat qui connaît par cœur ses dossiers car il est "au plus près du terrain", dit-il.
Autre cheval de campagne du RN, l’arrêt de la construction de HLM au nom… de la préservation de l’environnement. "Les logements sociaux, c’est la bétonisation à outrance et Marseille est à bout de souffle. Nos espaces verts sont saccagés sous prétexte qu’il faut construire des logements sociaux."
Sur le thème du logement social, dossier immense et complexe, le candidat frontiste avance que les habitants des quartiers nord ne veulent plus vivre en cité, même desservies par le métro et bien entretenues. "Les gens ne veulent pas y rester parce qu’il y a de l’insécurité liée au trafic de drogue et à l’islamisme militant. Il y a des logement sociaux qui sont vacants, alors avant de construire, avant de bétonner, restaurons la sécurité."
La municipalité sortante, cible de tous les candidats
Logements insalubres, transports publics déficients, habitants déboussolés : tous les candidats sont d’accord pour éreinter "les 25 ans d’inaction" de Jean Claude Gaudin. Y compris le candidat… de la majorité municipale. Moussa Maaskri, acteur de séries policières et de cinéma (Taxi 5) défend depuis quelques semaines les couleurs de Martine Vassal, la dauphine du maire de Marseille, dans ce secteur des quartiers nord.
Fils d’une militante associative, né dans la cité des Flamants, il assure que cette fois-ci "on va vraiment s’occuper des quartiers". Lui aussi assure que les écoles sont dans un état lamentable, "que les gens ont le droit et ont raison d’être en colère parce qu’ils ont été méprisés". "Moi je vais changer ça, c’est mon envie" ajoute-t-il, fustigeant les manquements des politiques passées. "Moi, en étant à la place des pouvoirs publics, je pourrais arrêter de greffer des ailes de moineaux sur des albatros".
Entre une gauche dispersée, le RN, qui surfe sur le rejet de la classe politique et les efforts de LREM pour s’installer durablement sur "un territoire perdu de la République", la bataille fait rage. Très macronien, Saïd Ahamada martèle que face aux "zones de non droit, (…) il faut avoir les Marseillais avec nous, il faut qu’ils y croient, c’est eux au quotidien qui feront que ça change".
À gauche, on estime que "rien ne changera si nous restons dans l’opposition municipale". Pour le Printemps marseillais, "on est à la croisée des chemins. Ou il y a un vrai changement, ou on s’enfonce dans des ghettos, ou on ne maîtrisera plus rien du tout".
Avec ce scrutin, les partis tentent de mobiliser militants et citoyens pour rompre avec une gestion municipale qui, depuis 25 ans, délaisse les quartiers nord en privilégiant son électorat, qui vit, lui, dans le sud de la ville.