Le baromètre annuel du quotidien La Croix témoigne du désintérêt des Français pour l’actualité et de leur désamour pour les médias. Pour le sociologue Jean-Marie Charon, les médias sont notamment coupables, aux yeux des Français, de ne pas savoir rendre compte de leur vécu.
L’intérêt des Français pour l’actualité n’a jamais été aussi bas. Selon le baromètre annuel réalisé par Kantar pour le quotidien La Croix, publié mercredi 15 janvier, seuls 59 % des Français, soit huit points de moins qu’en 2019, disent suivre l’actualité avec un intérêt "assez grand" ou "très grand" contre 41 % qui déclarent un intérêt "très faible" ou "assez faible".
Pourtant, l’année 2019 a été notamment marquée par de nombreux sujets susceptibles d’éveiller l’intérêt du public comme la crise des Gilets jaunes, le grand débat national, l’incendie de Notre-Dame ou encore les élections européennes.
Le baromètre révèle également que les Français ne font pas confiance aux médias : ils ne sont que 50 % à juger crédibles les informations diffusées à la radio, 46 % en ce qui concerne la presse écrite, 40 % pour la télévision et 23 % pour les informations en provenance d’Internet.
Des chiffres qui ont de quoi inquiéter des médias confrontés régulièrement à la forte défiance de citoyens notamment critiques de la couverture des Gilets jaunes, selon le sociologue Jean-Marie Charon, spécialiste des médias au CNRS, contacté par France 24.
France 24 : Comment expliquer le désintérêt des Français pour l’actualité malgré les nombreux événements de l’année 2019 ?
Jean-Marie Charon : Il est probable qu’il y ait un lien entre la nature des événements traités et les débats qui ont eu lieu sur leur traitement, en particulier en ce qui concerne les Gilets jaunes. Le baromètre La Croix montre notamment que 71 % des Français estiment que les médias n’ont pas correctement rendu compte de leur vécu. Or, pourquoi continuer à s’informer si on a l’impression que cette information ne reflète pas votre réalité ?
L’autre enseignement, qui se confirme un peu plus chaque année, c’est le désintérêt profond des jeunes pour les médias traditionnels qui n’ont pas su adapter leurs contenus, leurs sujets, leurs angles aux préoccupations des plus jeunes. Ceux-ci se tournent davantage vers les réseaux sociaux et se caractérisent par une difficulté à identifier les sources d’information. Ils n’ont pas forcément une très grande perception de ce qui différencie tel ou tel média. Il y a donc un enjeu important d’éducation aux médias chez les plus jeunes, mais aussi d’identification. Mettre en valeur sa particularité va devenir une composante essentielle de la ligne éditoriale dans l’avenir.
On voit également que les Français ne font pas confiance aux médias, en particulier Internet…
C’est effectivement le support qui recueille le plus faible taux de confiance, mais peut-être qu’aujourd’hui, la notion d’Internet est trop vague. Entre les sites des médias traditionnels, les réseaux sociaux, les sites plus confidentiels, le média Internet englobe trop de contenus alors que la radio, la télévision ou la presse écrite sont mieux identifiées.
En ce qui concerne la confiance, les Français font le constat d’un manque de fiabilité et estiment qu’il y a trop d’erreurs, trop d’approximations, de contre-sens. Ils disent que le contenu proposé par les médias n’a pas la solidité d’une encyclopédie. Cela montre qu’ils n’ont pas en tête les contraintes de temps et de moyens des journalistes. Par ailleurs, ce sentiment de manque de fiabilité est renforcé par le fait que le cœur du lectorat ou des auditeurs ou des téléspectateurs auquel s’adressent les médias est désormais un public très éduqué et donc capable de relever les erreurs des journalistes lorsque ceux-ci couvrent leur domaine.
Vous avez évoqué le traitement médiatique des Gilets jaunes. La couverture des manifestations a-t-elle marqué un tournant dans le rapport des Français aux médias ?
C’est évident. Il y a eu une grande déception du public concernant le traitement des Gilets jaunes et beaucoup d’incompréhension, avec notamment une polarisation entre ceux qui se mobilisaient et qui souhaitaient que les médias soient leur relais, et puis les observateurs et analystes qui avaient de leur côté des commentaires plutôt critiques vis-à-vis des Gilets jaunes.
On voit également qu’il y a une grande confusion chez les Français pour différencier l’éditorialiste du journaliste. L’image de ces commentateurs présents à longueur de journée sur les chaînes d’information en continu et qui paraissent extrêmement éloignés du vécu des gens pèse considérablement. En réalité, quand les Français se montrent très critiques en disant "les médias", on se rend compte qu’il s’agit davantage d’un problème lié aux éditorialistes qu’aux informations de base délivrées par les journalistes de terrain.