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Violences policières : Emmanuel Macron et le gouvernement changent de rhétorique

Face à l’accumulation, ces dernières semaines, des accusations de violences policières, le gouvernement a été contraint de rappeler les forces de l’ordre à "l’exemplarité". Le chef de l’État a demandé "des propositions claires pour améliorer la déontologie".

Il aura fallu une série de vidéos accusatrices et un nouveau mort ces dernières semaines pour que le gouvernement finisse par changer sa rhétorique vis-à-vis de la police. Officiellement, l’exécutif français refuse toujours de parler de "violences policières", mais pour la première fois depuis les premières remontées d’actes de violence disproportionnés commis par des forces de l’ordre lors des manifestations des Gilets jaunes, un début d’infléchissement semble à l’œuvre.

"Il y a eu très clairement des images, il y a aujourd'hui des affaires dans lesquelles des comportements qui ne sont pas acceptables ont été vus ou pointés", a reconnu Emmanuel Macron, mardi 14 janvier, en marge d'un déplacement à Pau, avant de demander au gouvernement "des propositions claires pour améliorer la déontologie".

Ces déclarations suivent celles du ministre de l’Intérieur et du Premier ministre. Samedi 11 janvier, c'est Christophe Castaner qui a ouvert le bal à l’occasion d’une conférence citoyenne au ministère de l’Intérieur : "Cet usage de la force doit être toujours, en toutes circonstances, même face aux insultes, même face aux projectiles, aux coups, à la brutalité, proportionné et maîtrisé. Jamais excessif, encore moins gratuit. Il en va de l’honneur de la police, et du sens de sa mission", a-t-il déclaré.

Je n’ignore rien du travail de nos policiers.
Rien de ce qu'ils ont accompli, parfois enduré, ces derniers mois.
C'est aussi de ma responsabilité de les appeler à l'exemplarité, en toutes circonstances.
C’est l’honneur de la police qui est en jeu. pic.twitter.com/jv6wzaqVE2

— Christophe Castaner (@CCastaner) January 13, 2020

Dimanche 12 janvier, Édouard Philippe, tout en affichant sa "solidarité" et sa "confiance" aux forces de l’ordre, a rappelé, lors de son interview au 20 h de France 2, que lorsqu’il est "fait un usage disproportionné [de la force], alors il doit y avoir enquête, et sanction le cas échéant".

Un gouvernement "soucieux de ménager les policiers"

Puis lundi 13 janvier, Christophe Castaner s’est de nouveau exprimé sur le sujet lors de ses vœux à la Police nationale pour enfoncer le clou : "L'usage juste et proportionné de la force est ce qui sépare la démocratie de l'arbitraire, ce qui distingue l'ordre et la brutalité, c'est le fondement, aussi, de notre confiance avec les Français", a-t-il souligné. "C'est l'honneur de la police qui est en jeu, on ne fait pas de croche-pied à l'éthique, sauf à s'abaisser, à abaisser la police", a ajouté le ministre de l’Intérieur, avec une référence explicite à une vidéo montrant un policier faisant un croche-pied à une manifestante, le 9 janvier, à Toulouse.
 


"Ce rappel des règles n’avait pas été fait jusqu’ici et c’est important que le gouvernement le fasse car il avait été jusqu’ici trop prudent et soucieux de ménager les policiers dans un contexte particulier", estime Jacques de Maillard, professeur de science politique à l’université de Versailles Saint-Quentin, spécialiste de la police, contacté par France 24.

Les forces de l’ordre sont en première ligne depuis plusieurs années face à des manifestations de plus en plus complexes. Opposition au projet de barrage de Sivens en 2014, manifestations contre la loi El Khomri en 2016, manifestations des Gilets jaunes en 2018 et 2019 : elles ont eu à gérer de plus en plus de manifestants radicalisés qui n’hésitaient pas à les confronter physiquement. Ce à quoi les policiers ont répondu par une utilisation de plus en plus massive des lanceurs de balles de défense (LBD), des grenades de désencerclement et des grenades lacrymogènes instantanées, à l’origine de nombreuses blessures.

Selon un décompte effectué par le journaliste indépendant David Dufresne, le bilan de l’utilisation de ces armes lors de l’année écoulée est de deux morts, 24 éborgnés, cinq mains arrachées et des centaines de blessés à la tête.

Mort d’un livreur lors d’un contrôle routier

"Il y a eu plus de 15 000 tirs de LBD entre novembre 2018 et février 2019, c’est symptomatique d’une utilisation plus facile et plus massive de la force par les policiers", affirme Jacques de Maillard, pour qui la captation vidéo de ces violences policières et leur diffusion sur les réseaux sociaux a changé la donne.

C’est d’ailleurs l’accumulation de ces vidéos, ces dernières semaines, qui semblent à l’origine du changement de rhétorique du gouvernement. Les images, révélées par Mediapart, de l’interpellation, le 3 janvier, de Cédric Chouviat, lors d’un contrôle routier houleux aux abords de la Tour Eiffel, ont particulièrement choqué l’opinion. Le livreur de 42 ans est mort, victime d’une asphyxie avec fracture du larynx après avoir été plaqué au sol, casque sur la tête, par plusieurs policiers

«Interpellé à Paris, Cédric Chouviat est mort après un arrêt cardiaque. Sur des vidéos, on voit 3 policiers le plaquer au sol, sur le ventre et encore casqué. Ces images démentent la première version des policiers qui omet la violence de l’interpellation» https://t.co/t8mRuQJ4g6 pic.twitter.com/2oEyFi3R5z

— David Perrotin (@davidperrotin) January 7, 2020

"La déontologie, c’est aussi conduire les policiers à réfléchir à leurs pratiques, souligne Jacques de Maillard, alors que la France fait figure d’exception européenne pour l’usage des LBD. Le ministre de l’Intérieur doit aussi s’interroger sur sa position de 'premier flic de France', une notion typiquement française qui crée de l’ambiguïté : est-il leur chef politique ou leur premier représentant ?"

Les proches de Cédric Chouviat ont été reçus, mardi après-midi, par Christophe Castaner. Ils se sont déclarés déçus que les agents mis en cause ne soient pas suspendus. Mais selon l’un des avocats de la famille, le ministre a annoncé "une mise à l'étude des techniques policières incriminées" dans l’interpellation du livreur avec la participation "de la société civile, des ONG et des avocats".