La participation du groupe allemand Siemens à la construction controversée d’une mine géante de charbon en Australie est au cœur d’un mouvement de contestation outre-Rhin. Le conglomérat est accusé d’aggraver les dérèglements climatiques qui ont favorisé les incendies dévastateurs en Australie.
D’un côté Joe Kaeser, le patron de Siemens, l’un des plus puissants conglomérats industriels allemands, de l’autre, Luisa Neubauer, une jeune activiste, surnommée la “Greta Thunberg allemande" et, en toile de fond, les feux qui ravagent l’Australie à quelque 16 000 km de là.
Dans toute l’Allemagne, une quinzaine de manifestations ont été organisées, lundi 13 janvier, à l’initiative du collectif lycéen et étudiant Friday for Future pour dénoncer la collaboration de Siemens au controversé projet de mine géante Carmichael en Australie. Ces actions ont été le point d’orgue d’une pression continue que la branche allemande du mouvement, fondé par la militante suédoise Greta Thunberg, maintient sur le groupe industriel allemand depuis décembre.
Cette lutte est incarnée par Luisa Neubauer, une étudiante de 23 ans qui a multiplié les prises de paroles dans les médias pour critiquer l’entêtement de Joe Kaeser à honorer le contrat qui lie Siemens à Adani, le géant minier indien, maître d’œuvre du projet Carmichael. “L’Australie brûle, Siemens doit retrouver ses esprits”, avait-elle notamment lancé début janvier. “C’est une question de bon sens”, avait-elle ajouté devant les hésitations affichées par Joe Kaeser.
Siège au conseil de surveillance de Siemens offert
Le patron de Siemens a essayé ces derniers jours de déminer le terrain médiatique en multipliant les mains tendues à ses détracteurs. Il a notamment rencontré Luisa Neubauer pour “écouter” ses doléances et lui a même offert un siège au conseil de surveillance de Siemens Energy, où elle aurait été en mesure “de peser sur les décisions du groupe”, a-t-il déclaré.
Mais rien n’y fait. Luisa Neubauer a rejeté l’offre, qui aurait pu lui rapporter plus de 100 000 euros annuels. "Je connais le droit des actionnaires. Je n'aurais plus été en position de commenter les activités de Siemens de manière indépendante", a-t-elle répliqué. Et de souligner que le temps n’était plus à la négociation, ou la réflexion, mais qu’il fallait agir.
Ich habe erklärt warum ich das Angebot von @JoeKaeser abgelehnt habe & wen ich stattdessen vorschlage.
Die großen Fragen sind gerade aber ganz andere: Es geht um die Verantwortung globaler Konzerne & um eine Kohlemine, die es nicht geben dürfte. Da ist Siemens gefragt. #StopAdani https://t.co/e2SuWrS61T
Des commentateurs et responsables politiques ont même rejoint la contestation contre la participation de Siemens au projet Carmichael. Ricarda Lang, porte-parole des Jeunes Verts allemands, a qualifié le groupe de complice dans la construction d’un “tueur climatique” en Australie, tandis que des éditoriaux dans des journaux aussi influents que la Süddeutsche Zeitung ou le Handelsblatt reconnaissent que c’est une débâcle en termes d’image et de réputation pour le groupe industriel.
L’un des chantiers les plus controversés de la décennie
Siemens ne s’attendait pas à un tel retour de flammes en scellant un accord avec Adani en juillet 2019. Pourtant, le groupe était conscient que c'était l’un des chantiers les plus controversés de la décennie. Dès le début, en 2010, le projet s’est attiré les critiques : Carmichael doit en effet devenir la plus grande mine de charbon du monde, capable de produire plus de 60 millions de tonnes de charbon par an. Les émissions de CO2 qui en résulteraient seraient supérieures à celles, combinées, du Sri Lanka, de l’Autriche, du Vietnam et de la Malaisie. Une hérésie à l’heure de la lutte contre le réchauffement climatique, ont dénoncé au fil des ans les associations de défense de l’environnement.
La mine géante consommerait aussi 9,5 millions de mètres cube d’eau pour fonctionner, et le transport par la mer du charbon vers l’Inde serait un coup dur pour la Grande Barrière de corail, déjà en piteux état.
Mais Siemens jugeait sa participation au projet trop modeste pour lui attirer les critiques. Après tout, le conglomérat doit se contenter de mettre en place la signalétique du chemin de fer qui permettra de transporter le charbon de la mine. Une affaire qui doit rapporter environ 20 millions de dollars (18 millions d'euros) au groupe allemand, plutôt habitué aux contrats portant sur des milliards de dollars.
Les feux qui ravagent l’Australie depuis la fin de l’été 2019 ont changé la donne. Hors de question pour les activistes allemands qu’un groupe allemand participe à un chantier qui, en détériorant encore plus le climat, va renforcer les risques que des catastrophes similaires aux incendies actuels se répètent à l’avenir. “L’absurdité de ce projet est telle qu’une soixantaine d’entreprises ont décidé de ne pas travailler avec Adani sur ce chantier, mais Siemens s’entête”, regrette Luisa Neubauer.
Pour l’instant, la pression n’a pas fait plier le groupe allemand. Joe Kaeser reconnaît qu’il est pris entre deux feux : d’un côté, il a des obligations envers la société, mais de l’autre, il en a aussi envers ses partenaires commerciaux. Le patron de Siemens refuse de ne pas honorer le contrat signé avec Adani car sa réputation dans le monde des affaires en pâtirait, risquant de priver l'entreprise d’opportunités futures. En d’autres termes, maintenant que la ciguë a été versée dans le calice, autant le boire jusqu’à la lie.