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Bataille des publicités politiques : Facebook donne raison à Trump et ses partisans

Le réseau social de Mark Zuckerberg a décidé de ne pas interdire les publicités politiques, même mensongères. Un choix qui a suscité de vives critiques aux États-Unis, notamment de démocrates qui craignent une redite, en 2020, des dérives de la campagne de 2016.  

Facebook a décidé de s'en laver les mains. Après des mois de polémiques, le géant de l'Internet a annoncé, jeudi 9 janvier, qu'il n'allait pas interdire les publicités politiques, même trompeuses, sur ses pages. Il préfère rejeter la responsabilité sur les utilisateurs appelés à décider eux-mêmes s'ils veulent en voir moins.

"Nous ne pensons pas qu'il revien[ne] à une entreprise privée de décider du sort des publicités politiques", a expliqué Rob Leathern, directeur de la gestion des produits pour Facebook, dans un post de blog. "Les gens doivent pouvoir entendre le message que ceux qui aspirent à les diriger ont à leur faire passer. Leurs dires doivent pouvoir faire l'objet d'un débat public", a-t-il justifié.

Levée de boucliers

Cette décision a suscité des réactions outrées au sein du parti démocrate américain, qui craint pour l'élection de 2020 une redite de la campagne de 2016, durant laquelle le camp de Donald Trump a été accusé d'avoir eu massivement recours à des publicités trompeuses pour influencer le scrutin en sa faveur.

Facebook is paying for its own glowing fake news coverage, so it's not surprising they're standing their ground on letting political figures lie to you. Facebook needs real competition and accountability so our democracy isn't held hostage to their desire to make money. https://t.co/bhy5bVGoAP

— Elizabeth Warren (@ewarren) January 9, 2020

Facebook is paying for its own glowing fake news coverage, so it's not surprising they're standing their ground on letting political figures lie to you. Facebook needs real competition and accountability so our democracy isn't held hostage to their desire to make money. https://t.co/bhy5bVGoAP

— Elizabeth Warren (@ewarren) January 9, 2020

"Donald Trump peut [et va] continuer à mentir dans ses publicités. Et Facebook peut [et va] en profiter financièrement. Ces annonces ne sont qu'une façade pour justifier leur décision d'autoriser la désinformation payante", a réagi Joe Biden, l'actuel favori parmi les candidats démocrates à l'élection présidentielle. Le groupe californien "doit rendre des comptes et avoir une vraie concurrence pour qu'il ne puisse plus sacrifier notre démocratie sur l'autel de ses profits", s'est emportée Elizabeth Warren, autre candidate à l'investiture démocrate pour la présidentielle de 2020.

Les principaux commentateurs politiques et technologiques américains ont aussi trouvé cette couleuvre difficile à avaler. "Cette décision va accélérer la polarisation de la société américaine en rendant toujours plus difficile le tri entre la réalité et la fiction", écrit Casey Newton, un journaliste influent dans la Silicon Valley. "Facebook ne veut pas interdire les publicités politiques et préfère bousiller la démocratie", titre même TechCrunch, l'un des sites d'actualité de référence dans le monde Tech.

Cette levée de boucliers est un nouvel épisode du violent débat autour de la question des publicités politiques en ligne depuis l'automne dernier. C'est une publicité payée par l'équipe de campagne de Donald Trump qui a mis le feu aux poudres en octobre 2019. Les partisans du président américain y relayaient des théories du complot autour des activités ukrainiennes du fils de Joe Biden, dans l'espoir de dénigrer le candidat démocrate. La vidéo était rapidement devenue virale sur Facebook, où elle avait été visionnée plusieurs millions de fois.

L'ancien vice-président de Barack Obama avait demandé que cette publicité disparaisse de la plateforme dirigée par Mark Zuckerberg. D'autres personnalités politiques lui avaient emboîté le pas, et CNN avait décidé de ne pas la diffuser sur son antenne. Mais Facebook a refusé, brandissant le sacro-saint principe de la liberté d'expression.

Twitter et Google plus réactifs

Le réseau social s'était alors rapidement trouvé dans une position délicate. À sa gauche : des appels se multipliaient pour qu'il prenne ses responsabilités et "tire les leçons de 2016". De multiples études (liens) ont montré l'importance jouée par les publicités ciblées durant la campagne, et le scandale Cambridge Analytica repose, en grande partie, sur l'utilisation sans autorisation par cette entreprise britannique des données personnelles des utilisateurs de Facebook pour évaluer l'efficacité des messages de propagande politique. À sa droite, Facebook a été mis en garde contre la tentation de céder aux exigences des démocrates par des républicains qui l'accusaient déjà de censurer leur voix.

Pour rendre le terrain encore plus glissant politiquement pour Mark Zuckerberg, Twitter et Google ont, tous les deux, pris des mesures fortes pour restreindre la diffusion de publicités mensongères. Le premier les a tout simplement interdites, tandis que le moteur de recherche a limité les possibilités de ciblage publicitaire pour les partis politiques et organisations partisanes.

Isolé, critiqué, Facebook ne s'est pas rendu pour autant. Le groupe a pris son temps, annonçant qu'il évaluait ses options et consultait les différents acteurs susceptibles d'être lésés par d'éventuelles restrictions. Le réseau social s'est trouvé des alliés auprès de petites ONG pour qui ces campagnes publicitaires "sont des outils importants pour organiser des rassemblements, des levées de fonds ou appeler à s'inscrire sur les listes électorales", explique au New York Times Tara McGowan, directrice d'Acronym, une association classée à gauche qui milite pour le droit de vote des minorités.

Pour faire plaisir à Donald Trump ?

Dans son communiqué du 9 janvier, Facebook a, d'ailleurs, fait référence à ces "ONGs, activistes, groupes partisans" qui ont besoin de ces outils publicitaires pour se faire entendre.

Les détracteurs de la décision de Facebook reconnaissent qu'il est important de donner la voix à ces petites structures. Mais ils soupçonnent que la voix des actionnaires du groupe ait pesé bien plus lourd dans la décision finale.

D'autres estiment que l'appât du gain ne serait même pas la raison principale du choix de Mark Zuckerberg. Le statu quo qu'il défend représente "une importante victoire pour Donald Trump. Cette décision n'est rien d'autre que Facebook qui cherche à ne pas déplaire au président pour ne pas risquer qu'il prenne une décision – comme scinder le groupe en plusieurs entités – qui serait contraire à son intérêt", assure Nick Confessore, analyste politique et journaliste pour le New York Times.

À cet égard, Facebook a atteint son but. L'une des rares voix à s'être réjouies de la décision du réseau social est Tim Murtaugh, porte-parole de la campagne de Donald Trump, qui a loué une "bonne approche qui encourage les Américains à être davantage impliqués dans le débat politique".