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Soupçonné de protéger son clan dans l’affaire du meurtre de la journaliste Daphne Caruana, le Premier ministre maltais Joseph Muscat a annoncé, dimanche, sa démission, qui sera effective en janvier. Une avancée dans une enquête que l'exécutif n'a cessé d'entraver.

Le silence autour du meurtre de Daphne Caruana Galizia va-t-il se briser ? Deux ans après l’assassinat de la journaliste d’investigation, le Premier ministre maltais Joseph Muscat a annoncé, dimanche 1er décembre, qu’il démissionnerait le 12 janvier 2020.

Une réponse à la colère des citoyens, après les soupçons d’ingérences visant le chef du gouvernement dans l’enquête sur le meurtre de la blogueuse la plus célèbre du pays. 

Ils sont encore des milliers à protester spontanément ce soir devant le Parlement maltais pour demander une démission immédiate du PM Muscat #daphne pic.twitter.com/WJGnigTrLz

— JB Chastand (@jbchastand) December 2, 2019

“C’est une avancée majeure car cela fait déjà plus de deux ans que Daphne a été assassinée, deux ans que l’enquête piétine”, souligne Laurent Richard, fondateur de Forbidden Stories, association de journalistes qui poursuivent, entre autres, le travail de la Maltaise. 

Le 16 octobre 2017, Dapheé Caruana signe son dernier article sur son blog relatant une énième affaire de corruption visant des responsables d’opposition maltais. "Il y a des escrocs partout où vous regardez maintenant. La situation est désespérée", écrit-elle, amère, en fin de billet. Une conclusion qui résonne singulièrement à la lecture des événements d’aujourd’hui. 

Une onde de choc 

Moins d’une heure plus tard, la journaliste âgée de 53 ans quitte son domicile à Bidnija, dans le nord de l’île, au volant de sa voiture. Elle ne roule qu’une centaine de mètres avant l’explosion du véhicule. Les secours retrouveront la carcasse rouillée de la petite Peugeot dans un champ au bord de la route, à quelques encablures de sa résidence.

Aussitôt, les médias relaient l’assassinat et une vague d’indignation se propage dans le pays, avant de gagner l’Europe. Sous le choc, des milliers de personnes se rassemblent le soir-même à Sliema, près de La Valette, fleurs et bougies à la main. Pour la famille comme pour l’opinion publique, le caractère criminel de l’attaque ne fait aucun doute. Le Premier ministre maltais, Joseph Muscat, régulièrement visé par le travail de Daphne Caruana, qualifie immédiatement cet acte de “barbare” et promet de retrouver ses assassins.

L’hiver suivant, trois hommes au casier judiciaire déjà bien fourni, les frères Alfred et George Degiorgio et Vince Muscat sont arrêtés, soupçonnés d’avoir piégé la voiture. Si les trois suspects – qui ont avoué les faits – sont aujourd’hui dans l’attente d’un procès, personne, à commencer par la famille de la victime, n’imagine qu’ils soient les commanditaires du meurtre.

Une corruption endémique

La blogueuse ne comptait plus ses ennemis, ni les menaces dont elle faisait régulièrement l’objet. En 1995 et 2006, on avait égorgé son chien et tenté à deux reprises de mettre le feu à sa maison, indique L’Obs. À travers une plume nerveuse et acérée, la journaliste révélait au grand jour, la corruption endémique impliquant la classe politique locale maltaise, tous bords confondus. 

Son blog écrit en anglais était l’un des sites les plus lus de l’archipel, souvent plus que les journaux traditionnels, auxquels il lui arrivait de contribuer. Une “WikiLeaks à elle toute seule”, selon le magazine américain Politico, qui l’avait également classée parmi les “28 personnalités qui font bouger l’Europe” en 2017.

Quelques mois avant sa mort, elle s’était penchée sur les Panama Papers, dévoilant plusieurs scandales éclaboussant des proches du chef du gouvernement, Joseph Muscat. Documents à l’appui, elle avait, entre autres, révélé l’existence de pots-de-vin perçus par le chef de cabinet du Premier ministre, Keith Schembri et le ministre de l’Énergie de l’époque - aujourd’hui au Tourisme - Konrad Mizzi, à travers leurs sociétés panaméennes. 

"Une volonté d’enterrer l’enquête"

Si l’enquête sur la mort de la journaliste n’a cessé de piétiner depuis 2017, la récente mise en examen de l’homme d’affaires et proche de Joseph Muscat, Yorgen Fenech, marque un tournant. Le magnat de 38 ans a désigné à la police Keith Schembri comme le "vrai commanditaire" de l’assassinat. Ce même homme visé deux ans plus tôt par les Panama papers, a finalement donné sa démission fin novembre, tout comme le ministre du Tourisme, Konrad Mizzi.

“Nous sommes dans un temps politique, mais il y aura encore un temps judiciaire”, note le fondateur de Forbidden Stories. “Il y a eu jusqu’à présent une volonté de la part de l’exécutif d’enterrer l’enquête. De fait, avec ces rebondissements, elle avance, mais encore lentement.” 

Si le ménage au sein de l’exécutif s’opère doucement, les obstacles dans le processus judiciaire risquent encore de s’aligner, estime Laurent Richard. “Le fait que Joseph Muscat reste au pouvoir jusqu’au mois janvier peut compliquer l’affaire, car les officiers de police auront encore beaucoup de preuves à récupérer d’ici là. Car rien ne dit que l’enquête avancera raisonnablement, avec un Premier ministre dont le meilleur ami et le plus proche collaborateur [Keith Schembri, NDLR] se trouve impliqué dans l’affaire”, tempère-t-il.