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Un "anti-marché" à la tête du système de régulation bancaire

Pourfendeur de "la jungle de la mondialisation à l'américaine", Shizuka Kamei a été choisi par le Premier ministre, Yukio Hatoyama, pour réguler le système financier. Une nomination qui a provoqué l'émoi à la Bourse de Tokyo.

AFP - Il fustige la "jungle de la mondialisation à l'américaine", milite pour un retour à l'esprit des samouraïs et pleure un Japon "dévasté par le libre-marché": c'est lui, Shizuka Kamei, qui vient d'être choisi pour réguler le système financier de la deuxième économie mondiale.

M. Kamei, un cacique de 72 ans au caractère bien trempé, a été nommé secrétaire d'Etat aux Services financiers et postaux, mercredi par le nouveau Premier ministre de centre-gauche japonais Yukio Hatoyama. A la Bourse de Tokyo, les valeurs bancaires ont plongé.

Les banques, qui se plaignent déjà de la rigidité des règles financières japonaises existantes, ont en effet de quoi s'inquiéter: "je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour reconstruire le Japon, qui a été dévasté par l'économie de libre-marché", a martelé M. Kamei dès sa première conférence de presse.

Dans la foulée, il a promis un moratoire de trois ou quatre ans sur le remboursement des dettes des petites et moyennes entreprises. Il compte aussi revenir sur la privatisation de la poste, emblème des réformes libérales du Premier ministre Junichiro Koizumi (2001-2006) dont il est l'ennemi juré.

Considérée comme la plus grande banque du monde, la poste japonaise devait être vendue par morceaux à des investisseurs privés entre 2010 et 2017.

M. Koizumi espérait ainsi réorienter vers le secteur productif une partie des 355.000 milliards de yens (2.700 milliards d'euros) d'épargne et d'assurance-vie, majoritairement investis par la poste dans des bons du Trésor.

Expulsé du parti de M. Koizumi pour son opposition à cette réforme, M. Kamei avait alors fondé sa propre formation. Il avait dû affronter, aux législatives de septembre 2005, le jeune gourou de l'internet Takafumi Horie, parachuté dans sa circonscription par M. Koizumi en guise de vengeance.

M. Kamei, un ancien policier antiterroriste, avait finalement vaincu M. Horie. Lequel, quelques mois plus tard, était jeté en prison après la découverte d'énormes falsifications comptables dans sa société, Livedoor.

Shizuka Kamei, qui a été témoin du bombardement nucléaire de Hiroshima en 1945, cultive le paradoxe: autrefois chargé de traquer l'Armée rouge japonaise, il est aussi un admirateur de la révolution cubaine, un pourfendeur du "capitalisme débridé" et a écrit un pamphlet contre la peine de mort.

En 2007, il avait soutenu l'insolite candidature au Sénat japonais de l'ex-président péruvien Alberto Fujimori, qui purge actuellement une peine de prison dans son pays. L'ex-homme fort de Lima, qui a aussi la nationalité japonaise, est une personnalité adulée par les secteurs les plus réactionnaires du nationalisme nippon. M. Kamei l'a qualifié de "dernier samouraï".

Sur son site internet (www.kamei-shizuka.net), où il accueille le visiteur en chantant de sa voix rocailleuse, M. Kamei exalte l'égalitarisme et le sens de l'honneur du Japon d'antan face à la "jungle de la mondialisation à l'américaine".

Il y affirme vouloir "ressusciter le beau et puissant Japon, où l'art et la culture s'intègrent à l'industrie, et travailler dur, animé par l'esprit du samouraï, pour le bonheur de tous les êtres vivants".

Les analystes financiers ne semblent guère sensibles à cette poésie.

"Il ne fait pas de doute que le Japon est sur le point d'effectuer un grand bond économique en arrière", a dénoncé Jesper Koll, président de Tantallon Research Japan, dans une tribune publiée par le Wall Street Journal.