Des dizaines de milliers de personnes ont défilé samedi à Paris contre les violences sexistes et sexuelles et les féminicides. Si des mesures politiques sont attendues, les manifestantes interrogées par France 24 ont aussi souligné l'importance de l'éducation des jeunes générations pour mettre fin "à ce fléau".
À deux jours de la fin du "Grenelle des violences conjugales" initié par le gouvernement, une foule dense de femmes et d’hommes – 49 000 personnes, selon les estimations du cabinet Occurrence mandaté par un collectif de médias – a manifesté à Paris, samedi 23 novembre, contre les violences faites aux femmes à l’appel du collectif féministe #NousToutes. Le violet, couleur traditionnelle des féministes, a été de rigueur dans le cortège et les pancartes ont affiché des slogans variés : "Féminicide, à qui le tour", "Ras le viol", "Patriarcat ? La cup est pleine"...
"C’est l’occasion de se réunir et de crier notre colère face au sexisme structurel et aux inégalités entre les hommes et les femmes", explique Manon, 19 ans, à France 24. L'étudiante en sociologie est venue place de l’Opéra malgré la météo capricieuse. Sa mère, Sophie, 59 ans, aussi. Cette retraitée "en a marre d’entendre tous les trois jours qu’une femme meurt sous les coups de son conjoint".
Depuis le début de l’année, au moins 116 femmes ont été tuées par leur conjoint ou ex-conjoint, selon un décompte de l’AFP. Le collectif "Féminicides par compagnons ou ex" dénombre, quant à lui, 137 féminicides.
"Il y en a marre qu’une femme se fasse insulter, battre ou tuer parce que c’est une femme", affirme Frédérique, 60 ans, une retraitée présente dans le cortège qui se rend place de la Nation. Manon trouve, pour sa part, "intolérable en 2019 le fait de devoir porter des tenues adaptées ou qu’on crée un préservatif pour verre" (afin de lutter contre la drogue du viol en soirée, NDLR).
"Stopper ce fléau"
Dans le cortège, un groupe qui colle des affiches contre les féminicides fait son apparition. Des femmes vêtues de noir portent des pancartes sur lesquelles on peut lire les prénom et âge des femmes tuées par des hommes depuis le début de l’année. Certaines manifestantes ont aussi des larmes de sang maquillées sous les yeux.
Marguerite Stern, une ex-Femen réalisatrice de podcasts à l’origine de cette initiative des collages dans les rues parisiennes, explique que "le combat continue" et précise : "Cela fait du bien de se retrouver entre femmes dans la rue de temps en temps."
Elle a peu d’attentes sur les annonces qui pourraient être faites à l’issue du "Grenelle des violences conjugales", estimant que "ses conclusions viennent valider ce que les associations réclamaient déjà. On va rester dans un truc d’annonces, mais toujours pas d’actes." Le collectif #NousToutes demande depuis plusieurs mois que l’État débloque un milliard d’euros pour "lutter efficacement contre les violences conjugales".
C’est aussi le cas d’Ilham, 28 ans, qui réclame "des moyens financiers" pour les travailleurs sociaux afin de "stopper ce fléau". Cette assistante sociale dans un centre d’hébergement pour les femmes victimes de violences conjugales "espère des solutions à la hauteur du problème". Au quotidien, sa structure accueille des femmes victimes de violences obligées de quitter leur domicile ou leur travail.
Ilham voit d’un bon œil la mesure des bracelets d’éloignement – votée mi-octobre par l’Assemblée nationale –, un dispositif permettant de géolocaliser et maintenir à distance les conjoints et ex-conjoints violents par le déclenchement d'un signal, avec un périmètre d'éloignement fixé par un juge. "C’est une solution concrète dans l’urgence qui pourrait améliorer la situation", affirme-t-elle, avant d’ajouter : "Mais c’est dans le changement des mentalités que repose la solution aux violences faites aux femmes."
"Qu’on arrête de dire 'Papa aide maman'"
L’éducation des jeunes générations et une prise de conscience publique du problème sont en effet des solutions fréquemment évoquées par les personnes rencontrées dans la manifestation. "Il faut éduquer, cela passe par des actions concrètes comme ne pas légitimer les coups que peuvent donner les petits garçons quand ils sont enfants", explique Sophie. Sa fille, Manon, souligne qu’"il faut une prise de conscience du plus grand nombre et une éducation des plus jeunes, car ils n’ont pas encore intériorisé certaines normes".
Pour Frédérique, qui a fait carrière dans l’enseignement, "l’éducation au sein des familles et au sein de l’école, c’est la base". Selon elle, le changement doit avoir lieu au quotidien : il faut par exemple "arrêter de genrer les jeux pour enfants ou l’apprentissage de la cuisine". Surtout, elle souhaite qu’on "arrête de faire inconsciemment des différences entre garçons et filles, qu’on arrête de dire ‘Papa aide maman’. Non ! Papa et maman font tous les deux des tâches ménagères."
Dans le cadre professionnel, Ilham intervient dans les collèges et lycées sur les violences faites aux femmes. Mais "c’est à la demande des établissements qu’a lieu ce cycle de quelques jours, une fois par an", précise-t-elle. Avant d’ajouter : "Vu l’urgence de la situation, cela devrait être dans le projet d’établissement."
Pour Marguerite Stern, c’est finalement "aux femmes de mobiliser la société civile, leurs proches, pour faire régner une atmosphère moins sexiste".