Dans un entretien accordé au magazine britannique The Economist, le président français affirme que l'Otan est en état de "mort cérébrale" et demande à ses partenaires européens de "se réveiller" pour que l'UE reste un acteur majeur.
Emmanuel Macron n'y va pas par quatre chemins : pour lui, l'Otan est "en état de mort cérébrale", déclare-t-il dans un entretien, publié jeudi 7 novembre dans The Economist, mais réalisé le 21 octobre à l’Élysée. Le président français, qui estime que l'Europe est "au bord du précipice" dans le cadre géopolitique actuel, invite ses partenaires à se réveiller afin de conserver le contrôle de la destinée du continent.
Le désengagement des États-Unis – qui "nous tournent le dos" – sur la scène internationale contraint les Européens à "réévaluer la réalité" de l'Alliance atlantique aujourd'hui, souligne Emmanuel Macron. "Nous devrons à un moment faire le bilan de l'Otan. Ce qu'on est en train de vivre, c'est pour moi la mort cérébrale de l'Otan", considère-t-il. "L'Otan en tant que système ne régule pas ses membres."
It is high time for Europe to "wake up", according to Emmanuel Macron. Read an astonishingly candid interview with France's president https://t.co/bYuTBTgURL pic.twitter.com/z4RMjqqBI7
The Economist (@TheEconomist) November 7, 2019Pour la première fois, dit-il au sujet de Donald Trump, "nous avons un président américain qui ne partage pas l'idée du projet européen, et la politique américaine se désaligne de ce projet". "Les conséquences, nous les voyons en Syrie en ce moment : le garant en dernier ressort, l'ombrelle qui rendait l'Europe plus forte, n'a plus la même relation avec l'Europe. C'est pourquoi notre défense, notre sécurité, les éléments de notre souveraineté, doivent être pensés en propre", juge-t-il.
"Regardons les choses en face. Vous avez des partenaires qui sont ensemble dans une même région du globe, et vous n'avez aucune décision stratégique des États-Unis d'Amérique avec les partenaires de l'Otan", explique le président français à propos de l'offensive militaire turque dans le Nord-Est syrien. "Il n'y a pas eu de planification ni de coordination par l'Otan. Il n'y a même pas eu de 'déconfliction' par l'Otan", déplore Emmanuel Macron.
"C'est quoi, l'article 5, demain ?"
Se pose pour lui la question de la pertinence de l'article 5 du traité de l'Atlantique-Nord qui a présidé à la création de l'organisation en 1949. Prié de dire s'il croit en l'efficacité de ce dispositif, il répond : "Je ne sais pas, mais c'est quoi, l'article 5 demain ? C'est-à-dire que si le régime de Bachar al-Assad décide de répliquer à la Turquie (membre de l'Otan, NDLR), est-ce que nous allons nous engager, c'est une vraie question."
L'article 5 stipule qu'"une attaque armée contre l'une [des parties] ou plusieurs d'entre elles, survenant en Europe ou en Amérique du Nord, sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties".
En conséquence, est-il écrit, "elles conviennent que, si une telle attaque se produit, chacune d'elles, dans l'exercice du droit de légitime défense, individuelle ou collective, reconnu par l'article 51 de la Charte des Nations unies, assistera la partie ou les parties ainsi attaquées".
"Je dis juste que, si nous n'avons pas un réveil, une prise de conscience de cette situation et une décision de s'en saisir, le risque est grand, à terme, que géopolitiquement nous disparaissions, ou en tout cas que nous ne soyons plus les maîtres de notre destin. Je le crois très profondément", réaffirme le président français.
Ce sursaut, estime-t-il, nécessite de "retrouver la souveraineté militaire" européenne et de "rouvrir un dialogue stratégique" avec la Russie.
La chancelière allemande Angela Merkel a rapidement réagi aux propos d'Emmanuel Macron, déclarant ne pas partager ce point de vue et assurant que "l'Otan demeure la pierre angulaire" de la sécurité européenne. "Je ne pense pas qu'un tel jugement intempestif soit nécessaire, même si nous avons des problèmes, même si nous devons nous ressaisir", a-t-elle ajouté lors d'une conférence de presse à Berlin aux côtés du secrétaire général de l'Otan, Jens Stoltenberg.
En revanche, la Russie a salué les propos du président français. La porte-parole de la diplomatie russe, Maria Zakharova, a qualifié sur Facebook les propos d'Emmanuel Macron de "paroles en or. Sincères et qui reflètent l'essentiel. Une définition précise de l'état actuel de l'Otan".
Le chef de l'État a cependant eu dans la même interview des mots sévères sur la Russie, dont le modèle "anti-européen", de "sur-militarisation", avec une population déclinante et un PIB "équivalent à celui de l'Espagne" n'est selon lui "pas soutenable". Si elle ne veut pas devenir un "vassal de la Chine", la Russie n'a d'autre alternative qu'un "partenariat avec l'Europe", a-t-il ajouté.
Avec Reuters