logo

Mur de Berlin : la défense de Hans Modrow, dernier chef de gouvernement est-allemand

Hans Modrow, le dernier chef de gouvernement communiste de l'Allemagne de l'Est, explique à France 24 sa vision de la chute du mur de Berlin et justifie son action.

Il était aux premières loges des événements en 1989 mais ne sera pas à Berlin pour le jubilé des 30 ans de la chute du Mur. L'agenda de Hans Modrow est trop chargé. À 91 ans, le dernier chef de gouvernement communiste de la République démocratique d'Allemagne (RDA), se rend d'abord en Chine, "pour réfléchir à l'avenir du socialisme", puis à une foire du livre en Italie pour présenter son dernier livre "Leçons de l'histoire : Hans Modrow au sujet de Cuba, la RDA et la Perestroïka".

Difficile de ne pas soupçonner cet ancien apparatchik du régime est-allemand de bouder sciemment l'événement. Après tout, ce n'est pas sa vision de l'histoire que l'Allemagne célèbre les 8 et 9 novembre. Il n'a pas voulu la réunification, considère que le Mur a été un mal nécessaire et pense qu'il existe toujours une séparation entre Allemands de l'Est et de l'Ouest.

Trente ans pour peaufiner ses arguments

Celui qui a vu son monde s'effondrer alors qu'il était aux commandes, entre novembre 1989 et mars 1990, reçoit aujourd'hui dans son petit bureau au cinquième étage du siège du parti Die Linke (gauche radicale) à Berlin. Il préside, depuis 2007, leur conseil des anciens, après avoir été député au Bundestag sous la bannière du Parti du socialisme démocratique (PDS, le prédécesseur de Die Linke), puis élu au Parlement européen.

Hans Modrow a donc eu une vie publique chargée après la chute du Mur. Mais ce qui l'intéresse surtout aujourd'hui, c'est de mettre ses points sur les "i" de l'histoire. Assis à son bureau, devant une étagère où trônent les œuvres complètes du philosophe allemand et théoricien du communisme Friedrich Engels – qu'il reconnaît ne pas avoir lues en entier –, il a eu 30 ans pour peaufiner son discours et ses arguments.

"Je sais que je vais être durement critiqué pour dire ça", "il ne faut pas travestir les faits". Hans Modrow contre chaque question sur le régime est-allemand ou le Mur comme s'il s'adressait à un tribunal populaire. Le regard vif, il n'hésite sur aucune date ou détail et ponctue régulièrement ses phrases en appuyant fermement son index sur la table. Seule sa voix éraillée trahit son âge avancé. Et encore, il a pris soin de s'excuser en début d'interview et de préciser que c'était récent…

D'entrée, il tient à prendre ses distances avec Erich Honecker, dernier président de la RDA, ou encore Egon Krenz, le dernier secrétaire général du Parti socialiste unifié d'Allemagne (SED). Lui se présente comme un réformateur, quelqu'un qui critiquait le parti de l'intérieur et voulait le "démocratiser". "D'ailleurs, j'étais connu à l'Ouest comme le 'porteur d'espoir'", affirme celui qui a négocié les termes de l'après-Mur de Berlin avec la chancelier Helmut Kohl. Hans Modrow évoque la corruption d'une partie des élites et soutient que son plus grand regret a été de ne pas pouvoir pu s'émanciper "de manière plus ferme du modèle de développement économique soviétique" afin de donner un nouveau souffle au régime.

Le Mur pour "sauver la paix" ?

Mais l'ancien dirigeant met ses critiques du régime en sourdine lorsque le sujet du Mur est mis sur la table. À l'entendre, l'édifice qui a défiguré Berlin pendant près de 40 ans a "sauvé la paix". "Il ne faut pas travestir l'histoire. En juin 1961, le dirigeant russe Nikita Khrouchtchev et le jeune président américain John Fitzgerald Kennedy n'ont pas réussi à s'entendre pour trouver un moyen pour éviter une guerre pour Berlin-Ouest. Il est là, le problème", martèle-t-il. À l'écouter, au lieu d'être un problème, le Mur a été une solution.

Hans Modrow ne nie pas qu'il ait entraîné d'immenses souffrances "souvent à des gens qui n'y étaient pour rien". Mais il le présente comme un mal nécessaire décidé par un régime épris de paix. "Nous avions connu la Première guerre, la Seconde guerre, j'ai dû enterrer des gens dans mon village, je ne voulais plus jamais ça", affirme-t-il.

Et les 140 morts, essentiellement des Allemands de l'Est qui cherchaient à passer à l'Ouest ? Hans Modrow est prompt à rejeter la faute sur "la Guerre froide". "Les deux côtés doivent se demander comment une telle situation a pu se produire, c'est seulement comme ça qu'on pourra rendre justice à toutes les victimes", soutient-il. Il n'en reste pas moins que c'était des gardes-frontières de l'Est qui appuyaient sur la détente.

Mais cette réalité colle mal avec l'image d'homme de paix que l'ancien chef de gouvernement cultive. À son crédit, Hans Modrow a multiplié les prises de paroles antimilitaristes depuis la chute du Mur. Le 7 octobre dernier encore, il a chanté les louanges du "pacifisme et de l'antifascisme" lors d'un discours à l'occasion de la Fête alternative de la réunification, organisée par des nostalgiques de la RDA.

Image de pacifiste

Hans Modrow sort, d'ailleurs, la carte du pacifisme pour justifier toute son action politique. Ce serait la raison de son opposition à la réunification en 1990, qui "représentait une menace pour la paix mondiale !", soutient-il encore aujourd'hui. Sa crainte : le spectre de la "Grande Allemagne", avec tout ce que cette perspective peut véhiculer comme fantasmes guerriers. "Lorsque je me suis finalement rangé à l'idée de la réunification, je n'ai posé qu'une condition : je ne voulais pas d'une Allemagne dans l'Otan. J'avais imaginé un pays neutre sur le modèle autrichien ou suédois", raconte-t-il. Mais le dirigeant russe Mikhaïl Gorbatchev, avec qui il a négocié, en a décidé autrement lorsqu'il a accepté, en 1991, que l'Allemagne réunifiée rejoigne l'Alliance atlantique.

Pour lui, c'est le péché originel de l'après-Mur. Hans Modrow voit les 30 dernières années comme une lente remilitarisation de l'Europe de l'Ouest et de l'Allemagne. L'Allemande "Ursula von der Leyen va devenir la prochaine présidente de la Commission européenne, et sa priorité est de renforcer militairement l'Europe", croit-il savoir. "En 1991, je ne voulais pas que des tanks se retrouvent à nouveau à la frontière russe, et aujourd'hui, c'est ce qui se produit", estime-t-il. Trente ans ont peut-être passé, le monde a beau être devenu multipolaire avec la fin de l'URSS, mais Hans Modrow a gardé des vieux réflexes de la Guerre froide. Il veut toujours voir l'Allemagne comme une zone tampon entre les tentations impérialistes de deux grands anciens blocs.