logo

Manifestations au Liban : "Il s’agit à la fois d’un cri de souffrance et d’espoir"

La contestation au Liban s'est poursuivie mercredi pour le 21e jour consécutif, et le pays se trouve toujours dans une impasse politique. Retour sur l’essence de ce mouvement avec Stéphanie Baz-Hatem, auteure du livre "Liban, debout malgré tout".

Depuis le 17 octobre, le Liban est le théâtre d’une vague de contestation sans précédent contre la classe politique, jugée corrompue et accusée d’avoir ruiné le pays.

Les manifestations, qui ont mobilisé des centaines de milliers de Libanais sur l’ensemble du territoire, ont déjà provoqué la démission du Premier ministre Saad Hariri, le 29 octobre. Depuis, le pays se trouve dans une impasse politique en attendant la formation d'un nouveau gouvernement.

De leur côté, les manifestants entendent poursuivre leurs actions pour maintenir la pression sur leurs dirigeants, afin d’obtenir un changement radical du régime politique en place.

Présente sur place depuis le 20 octobre, Stéphanie Baz-Hatem, auteure franco-libanaise du livre "Liban, debout malgré tout"  (Éd. Nevicata ) , confie à France 24 son témoignage et ses impressions sur ce mouvement qui est en train de rebattre les cartes au pays du Cèdre.

Dans votre livre, il est souvent question de la soif de vivre et de la résilience des Libanais. Votre impression s'est-elle confirmée en observant de près les manifestations en cours ?

Stéphanie Baz-Hatem : Le peuple libanais, qui est par essence résilient, vit dans une sorte d’espérance permanente, surtout depuis la fin de la guerre civile. Dans les manifestations actuelles, toujours pacifiques et souvent festives, la soif de vivre des Libanais s’exprime plus que jamais, et il s’agit à la fois d’un cri de souffrance et d’espoir. D’un point de vue général, tout ce qui a été tu jusqu’ici ressort aujourd’hui, parce que le ras-le-bol est total face à la corruption et aux inégalités aberrantes. Les Libanais n’en peuvent plus, ils se sont mobilisés dans toutes les régions du pays, et même dans des territoires où l’on n’avait pas l’habitude de voir des manifestations. Même des partisans de partis politiques sont descendus spontanément dans les rues pour rejoindre les manifestants, alors que d’habitude ils obéissent aux mots d’ordre de leurs leaders respectifs.

Ce mouvement semble avoir changé la donne au sein d’une société souvent décrite jusqu’ici comme divisée. Comment cela se manifeste-t-il ?

On perçoit clairement à travers cette révolution spontanée un changement des mentalités, des clivages ont été surmontés. Parmi les protestataires on ne parle plus de chrétiens, de musulmans ou de druzes. Il y a une unité parmi les manifestants que l’on ne voyait pas forcément avant dans le pays, que l’on ne pouvait même pas imaginer. C’est assez impressionnant de les voir se ranger derrière le seul drapeau libanais, indépendamment de leur confession, leur âge ou leur condition sociale. Il manquait cruellement au pays un esprit citoyen, malgré les efforts d’une minorité de personnes engagées ou des associations, or nous sommes en train d’assister à son émergence sur un plan plus large à travers ces évènements. Il y a également une forte mobilisation des femmes, dont les droits sont lésés au Liban – et différents selon les communautés – , qui sont extrêmement présentes dans les rues depuis le début du mouvement.

Les manifestants sont-ils toujours confiants sur leurs chances d’atteindre leurs buts ? Les blocages ont-ils nui au mouvement ?

La révolution était plébiscitée de manière générale au début de la mobilisation, l’enthousiasme était total et les manifestants étaient très confiants quant à la réussite de leur mouvement. Mais il faut avouer que, depuis peu, des interrogations et la crainte de voir le mouvement stagner après trois semaines de mobilisation ont fait leur apparition parmi une partie des manifestants et au sein de la société. D’autant plus que les critiques visant la révolution, lui reprochant d’avoir paralysé le pays dans un contexte économique difficile et d’être dénuée de leaders, se sont multipliées ces derniers jours. Malgré l’aspect pacifique de cette révolution, on ne peut s’empêcher d’avoir peur des tensions qui peuvent ressurgir, d’une manière ou d’une autre, c’est un sentiment qui ne peut s’estomper complètement au Liban. La mobilisation n’a peut-être plus la même forme qu’au début, notamment depuis la démission du Premier ministre Saad Hariri et l’impasse politique actuelle, mais la contestation se poursuit. Les manifestants disent jouer leur dernière carte, car ils ont le sentiment qu’il s’agit de leur dernière chance, que c’est maintenant ou jamais sans retour en arrière. Et restent déterminés à obtenir un changement réel cette fois-ci.