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Quels scénarios au Liban après la démission de Saad Hariri ?

Le Premier ministre libanais Saad Hariri a démissionné mardi après 13 jours de manifestations. Une décision qui ouvre une ère d'incertitudes dans un pays habitué des soubresauts politiques. Quels scénarios au pays du Cèdre ? Analyse.

Dans l’impasse, le Premier ministre libanais Saad Hariri a présenté sa démission, mardi 29 octobre, provoquant des scènes de liesse d’un bout à l’autre du pays du Cèdre, agité depuis le 17 octobre par une révolte populaire inédite contre sa classe politique, accusée d'avoir laissé sombrer le pays.

Saad Hariri a assuré avoir voulu répondre "à la volonté de nombreux Libanais qui sont descendus dans la rue pour réclamer le changement" et a appelé "tous les Libanais (...) à protéger la paix civile".

La démission du Premier ministre, remise au président Michel Aoun, ouvre une ère d'incertitude tant les tractations politiques prennent du temps au Liban : le choix du gouvernement qui vient de démissionner avait nécessité huit mois de discussions entre les innombrables composantes de la vie politique et confessionnelle libanaise ; la nomination du président Aoun, deux ans et demi.

France 24 s’est penché sur les scénarios possibles à court terme pour le gouvernement.

• Saad Hariri de nouveau chargé de former un gouvernement

Constitutionnellement, le président Michel Aoun est tenu d’accepter la démission de son Premier ministre. Cependant, il peut de nouveau désigner Saad Hariri comme chef du gouvernement.

Un tel choix rendrait les tractations pour la formation du futur cabinet difficiles, d’autant qu’elles auront lieu sous l’étroite surveillance d'un mouvement contestataire toujours en pleine effervescence. Les manifestants, lassés des politiques, réclament l’institution d’un gouvernement de technocrates pour redresser l’économie du pays, en pleine déliquescence. Quasiment trente ans après la fin de la guerre civile, la population souffre toujours de pénuries chroniques d'eau et d'électricité et plus d'un quart des Libanais vivent sous le seuil de pauvreté alors que le pays est classé parmi les plus corrompus du monde (138e sur 180 pays, d'après l'ONG Transparency International).

Les manifestants libanais réclament un gouvernement de technocrates

"Tous veut dire tous", scandait d’ailleurs la foule après la démission de Saad Hariri. Cependant, ce dernier pourrait revenir avec une équipe gouvernementale totalement renouvelée, formée en majorité de technocrates reconnus pour leur compétence. "Hariri renverse la table pour mieux négocier son retour", a d'ailleurs titré le quotidien francophone L'Orient-Le Jour.

Le retour du Premier ministre démissionnaire aurait l'avantage de contenter Paris et Washington, les deux grandes capitales occidentales influentes au Liban. La France a estimé que la démission de M. Hariri rendait "la crise encore plus grave" et Washington a appelé à la création d'un nouveau gouvernement "de manière urgente". Ces derniers s'étaient inquiétés de cette démission, qui pourrait permettre au parti chiite Hezbollah – seul parti armé du pays – d'accroître encore son influence. L'Alliance du 8-Mars – composée principalement du parti chiite et du Courant patriotique libre (le parti du président Aoun, chrétien maronite) – était d'ailleurs opposée à la démission collective du gouvernement.

• Un autre Premier ministre est désigné et le Hezbollah en sort renforcé

Le président Michel Aoun et ses alliés au sein de l'Alliance du 8-Mars pourraient tenter d'imposer leur propre Premier ministre. En vertu de la Constitution libanaise, celui-ci doit forcément être issu de la minorité sunnite. Or, Saad Hariri est une des rares personnalités politiques de premier plan dans cette communauté.

"En cas de nomination d'un autre Premier ministre, le président devra faire attention à ce qu'il réponde aux demandes de la rue", explique Zeina Antonios, correspondante de France 24 au Liban.

Un autre scénario serait au contraire celui de la confrontation avec le soulèvement populaire : une personnalité sunnite alignée sur le camp du 8-Mars serait chargée de former le gouvernement, nomination qui pourrait déboucher sur une répression du mouvement pacifique. Le Hezbollah a donné un avant-goût des mesures qu'il pourrait prendre avec une violente attaque perpétrée mardi après-midi à Beyrouth contre un des principaux lieux de rassemblement, souligne L'Orient-Le Jour.

"Le Hezbollah dit soutenir la population. Il envoie ses militants manifester et orienter les slogans. Mais le Hezbollah est gêné. Il se veut du côté du peuple mais le peuple le met dans le même sac que les autres", explique Fabrice Balanche, docteur en géographie à l'université Lyon II.

• Les négociations et l'intérim s’éternisent

Le dernier scénario serait enfin celui du statu quo, à savoir qu’aucun nouveau gouvernement n’est formé et que Saad Hariri assure l'intérim avec des compétences limitées.

Car c'est pour le moment l'une des rares certitudes : "Le président Aoun a indiqué que Saad Hariri continue dans un gouvernement intérimaire", annonce Zeina Antonios, correspondante de France 24 au Liban.

"Pour les manifestants, le départ du gouvernement n'est que la 1ere étape"

Une situation qui ne fera qu’aggraver la crise sans pour autant faire sortir les protestataires de la rue. Car, après la démission de Saad Hariri, les manifestants sont restés fidèles aux slogans qui prévalent depuis le début du mouvement : "Révolution, révolution !, "Tous, cela veut dire tous" et "Le peuple veut la chute du régime".

"Nous avons commencé avec Hariri et nous allons continuer avec Aoun et (Nabih) Berri", le chef du Parlement, a même promis un manifestant au micro d'une radio locale.

• Sortir du confessionnalisme politique ?

Les manifestants, qui ont placé la barre très haut en exigeant un changement du système confessionnel, actuellement basé sur une répartition des pouvoirs entre les communautés, ne verront pas leurs vœux exaucés à ce stade.

"La révolte populaire transcende les communautés et les régions. Et la classe politique dans son ensemble n’a pas compris, n’a pas vu venir cette fronde. Et elle est désarmée, elle ne sait pas quoi faire", explique Antoine Basbous, politologue et directeur de l'Observatoire des pays arabes, à nos confrères de RFI.

"La Constitution considère le confessionnalisme politique comme provisoire", rappelle May Maalouf Monneau, maître de conférences à l'université libanaise de Beyrouth, sur l'antenne de France 24. "Tout le monde considère qu'il faut sortir de ce système mais personne n'est d'accord sur le comment […]. Et la classe politique prend son temps."