Élu président de la République de Tunisie le 13 octobre, Kaïs Saïed a prêté serment, mercredi. Il a appelé les Tunisiens à "s'unir contre le terrorisme pour mettre fin à toutes ses racines et ses causes".
Dix jours après sa victoire à l'élection présidentielle, le constitutionnaliste Kaïs Saïed a prêté serment, mercredi 23 octobre, à 12 h (heure de Paris) comme nouveau président de la République de Tunisie.
Dans ce discours d'investiture prononcé en arabe littéraire – langue que Kaïs Saïed a l’habitude d'utiliser pour ses prises de parole –, le nouveau président tunisien a remercié "ceux qui ont choisi une autre voie et ont élu librement une autre personne."
Devant une assemblée constituée de la précédente mandature de 2014, et de la nouvelle assemblée élue le 6 octobre dernier, celui-ci a esquissé les contours d'un "monde nouveau", avec pour maîtres-mots : "l'espoir", la "liberté" et la "dignité".
Lutte contre le terrorisme, droits des femmes
Première allocution de Kaïs Saïed depuis sa victoire à l'élection présidentielle, celle-ci a été l'occasion pour lui d'insister sur la lutte contre le terrorisme et la corruption, mais aussi la défense et le renforcement des droits des femmes.
Lors de sa prestation de serment, le nouveau président est revenu sur chacun des enjeux de son mandat, assurant vouloir prendre soin de chaque centime dépensé, et saluant son armée et appelant le peuple tunisien à s'unir face à la menace terroriste.
"Nous devons nous unir contre le terrorisme pour mettre fin à toutes ses racines et ses causes", a-t-il déclaré. "Une balle tirée par le terrorisme fera face à des tirs d'unité" a-t-il poursuivi sous les applaudissements de l'assemblée.
Répétant la notion de "devoir", le nouveau président tunisien a énuméré les priorités qui doivent être celles de chacun : le peuple, l'État, la sécurité, mais aussi "les pauvres et les misérables".
"Il n'est pas question de toucher aux droits des femmes", a-t-il par ailleurs assuré. La femme a besoin de voir ses droits renforcés, notamment ses droits économiques et sociaux."
"Il est temps d’inviter de nouvelles méthodes pour réaliser les aspirations de notre peuple en matière d’emploi, de liberté et de dignité", a également déclaré celui qui, largement élu avec 72,71 % des voix au second tour, était jusque-là quasi inconnu sur la scène politique.
À l'issue de son discours, le nouveau président était attendu à Carthage, au palais présidentiel, où le président par intérim s'apprête à lui passer le flambeau. Deuxième étape de cette investiture avant la formation d'un gouvernement, dans les dix prochains jours.
Spécialiste du droit constitutionnel
Né le 22 février 1958 dans une famille originaire de Beni Khiar sur la côte est de la Tunisie, fils d'un fonctionnaire de la municipalité et d'une mère éduquée mais restée au foyer, il grandit à Radès, banlieue de la classe moyenne dans le sud de Tunis. Il fait toutes ses études dans l'enseignement public tunisien.
Farouchement anti-israélien, il a cependant souligné sa fierté que son père ait, à ses dires, protégé des nazis la jeune juive tunisoise Gisèle Halimi, devenue depuis célèbre avocate féministe.
Kaïs Saïed est diplômé d'un prestigieux établissement public, le Collège Sadiki, comme de nombreux présidents avant lui : le père de l'indépendance, Habib Bourguiba, le président Moncef Marzouki (2011-2014) et le premier président élu au suffrage universel en 2014, feu Béji Caïd Essebsi.
Diplômé à 28 ans à l'Académie internationale de droit constitutionnel de Tunis, il a été enseignant assistant à Sousse (centre-est), où il a brièvement dirigé un département de droit public. De 1999 jusqu'en 2018, il enseigne à la Faculté des sciences juridiques et politiques de Tunis.
Spécialiste du droit constitutionnel, il a pris sa retraite de l'université publique en 2018.
Surnommé "Robocop" en raison de sa diction saccadée et de son visage impassible, il est décrit par plusieurs étudiants comme un enseignant dévoué, attentionné derrière son apparente rigidité.
Dans son noyau de supporteurs se trouvent de nombreux anciens étudiants. Mais aussi des idéalistes, rencontrés en 2011 au sit-in de Kasbah 1, mouvement de jeunes et de militants déterminés à réorienter la transition démocratique qui s'amorçait après le départ de Zine el-Abidine Ben Ali.
Le grand public connaît surtout Kaïs Saïed pour l'avoir entendu commenter savamment, sur les plateaux des principales chaînes de télévision, les premiers pas de la démocratie tunisienne, durant la rédaction de la Constitution adoptée en 2014.
Les débats ont fleuri ces dernières semaines pour mieux cerner les convictions de ce personnage austère, jusque-là mal connues, même des commentateurs politiques.
Accusé d'être intégriste ou gauchiste, il est décrit comme inflexible sur ses principes.
Monsieur "Propre"
De nombreuses vidéos sont ressorties depuis sa qualification au second tour, montrant un homme d'une placidité à toute épreuve, portant depuis 2011 la même vision d'une décentralisation radicale du pouvoir.
Ce néophyte en politique a percé dans les sondages au printemps, porté par un ras-le-bol de la classe politique. Considéré comme irréprochablement "propre", il habite un quartier de la classe moyenne, et son QG est installé dans un appartement décrépit du centre-ville, où l'on fume assis sur des chaises en plastique.
Ses positions conservatrices sur le plan sociétal, qu'il est loin d'être le seul à avoir dans la classe politique, lui ont valu des accusations d'intégrisme. Mais son discours politique n'est pas appuyé sur des références religieuses.
Son allure assurée et son éloquence savante l'ont placé en bonne posture lors du face-à-face télévisé avec son rival Nabil Karoui vendredi.
Son premier défi sera d'élargir le cercle restreint de ses collaborateurs, actuellement composé d'une poignée de partisans passionnés, mais sans expérience du pouvoir, revendiquant une organisation horizontale. Son frère Naoufel a été un pilier de sa campagne, mais Kaïs Saïed a assuré, lors d'un débat télévisé vendredi, qu'il n'embaucherait "jamais" un membre de sa famille.
Avec AFP et Reuters