Face à la colère populaire contre l’ensemble de la classe politique, le gouvernement libanais a adopté lundi des réformes longtemps bloquées. Une initiative suffisante pour calmer les manifestants ? Réponse du politologue Ziad Majed.
Confronté à une contestation populaire inédite au Liban, le Premier ministre Saad Hariri a annoncé, lundi 21 octobre, l'adoption par son gouvernement d'une série de réformes économiques.
Parmi ces mesures destinées à calmer la colère de la rue contre la classe politique se trouve notamment la réduction de moitié des salaires du président de la République, des ministres et des parlementaires, en exercice ou honoraires. Le gouvernement, qui a tenu lundi une réunion extraordinaire, compte également adopter avant la fin 2019 un nouveau régime de retraite et de protection sociale et créer une Autorité nationale de lutte contre la corruption.
Sur le plan financier, alors que le pays fait face à une grave crise économique, Saad Hariri a annoncé que les banques privées allaient parallèlement contribuer à la réduction du déficit budgétaire, par le biais notamment d'une taxe sur les bénéfices.
Ces mesures sont-elles de nature à convaincre les manifestants de cesser leur mouvement ? Le politologue et professeur à l’université américaine de Paris Ziad Majed, interrogé par France 24, en doute.
Pensez-vous que les annonces faites aujourd’hui par le Premier ministre Saad Hariri puissent calmer la colère des manifestants ?
Ziad Majed : Il est peu probable que ces annonces, qui sont clairement destinées à contenir la colère de la rue, mettent un terme à la mobilisation. Les réformes annoncées démontrent que les forces politiques qui se partagent le pouvoir ont eu peur de cette mobilisation et des manifestants qui leur demandent des comptes. Des réformes auraient pu être faites depuis plusieurs années puisque les leaders politiques du pays s’étaient accordés sur la nécessité de les entreprendre. Il aura donc fallu plusieurs jours de manifestations pour qu’ils réagissent et tentent de prouver leur sérieux, alors qu’ils auraient pu se pencher bien plus tôt sur la lutte contre la corruption, sur des mesures pour contrôler le budget, sur la réorganisation des services publics défaillants et l’amélioration des conditions de vie des citoyens. Au lieu de cela, les différentes forces politiques, pourtant associées au sein du gouvernement Hariri, s’étaient concentrées jusqu’ici à se lancer des accusations et à faire porter la responsabilité des blocages et de leurs échecs collectifs à l’un ou l’autre d’entre eux, voire aux réfugiés syriens avec un racisme décomplexé, ou encore en prétendant que le Liban est la cible d’un complot. En réalité, ils ont chacun leur part de responsabilité, et les Libanais qui ont déjà entendu de telles promesses, même si elles étaient moins élaborées que celles annoncées aujourd’hui, n’ont plus confiance en eux.
Comment analysez-vous le mouvement actuel qui rejette en bloc la classe politique libanaise ?
C’est une colère saine, un grand soulèvement populaire – j’ose dire – jamais vu dans l’histoire contemporaine du pays, dans le sens où il s’agit d’un mouvement spontané et décentralisé qui a poussé des citoyens à descendre par centaines de milliers dans les rues de plusieurs villes libanaises, et non pas seulement à Beyrouth, ou dans deux ou trois villes. Il y a un sentiment général de ras-le-bol face à la classe politique, perçue comme arrogante, insolente et décadente. Les manifestants sont déterminés à aller encore plus loin que par le passé dans cette contestation et dans la radicalité de leurs revendications, à savoir tourner la page d’un système qu’ils dénoncent à l’unisson. Ils sont outrés par la gestion économique du pays et par le climat d’impunité qui règne au sein de cette classe politique alors que les scandales de corruption se multiplient.
Les manifestants peuvent-ils parvenir à leurs fins, c’est-à-dire changer le système politique qu’ils dénoncent ?
Même si ce but semble difficile à atteindre, il n’en reste pas moins que le moment que vit le Liban aujourd’hui est unique. Et le mérite en revient aux manifestants qui ont le courage de tenter d’y parvenir avec beaucoup de fierté, de dignité et même de la joie. Reste à savoir si cela suffira à changer la donne, il faudra bien plus qu’une semaine ou deux de manifestations pour parvenir à changer les pratiques politiques. Et il est difficile de croire que cette même classe politique soit capable de réformer le pays et le système dont elle se nourrit et qui lui permet de se maintenir au pouvoir. Personnellement, j’en doute fort, à l’instar de la population qui réclame du changement et que tous s’en aillent, sans exception.