
Un pétrolier iranien a été touché par deux frappes en mer Rouge à proximité de l’Arabie saoudite, a confirmé l’Iran. Cet incident attise les tensions entre Téhéran et les États-Unis, soutien de Riyad.
La liste des mystérieux sabotages et attaques sur les installations pétrolières de la région du Golfe s’allonge. Cette fois, c’est un équipement iranien, un tanker, qui a été touché vendredi 11 octobre en mer Rouge par deux frappes de missile. L’incident, signalé par le propriétaire du navire, la National Iranian Tanker Company (NITC), a eu lieu à une centaine de kilomètres du port saoudien de Jeddah, causant une fuite de pétrole.
L’opérateur administrant la flotte de navires pétroliers de l'Iran a déclaré dans un communiqué que les "deux explosions" ayant touché la coque du navire "ont probablement été causées par des frappes de missile". L'attaque a été lancée "depuis un endroit près du corridor [maritime par lequel passait le tanker], dans l'est de la mer Rouge", a quant à lui indiqué le ministère iranien des Affaires étrangères.
Selon Francis Perrin, directeur de recherche à l’Iris et spécialiste des problématiques énergétiques, le tanker iranien se trouvait à proximité de l’Arabie saoudite parce qu’il empruntait très probablement la route maritime vers le canal de Suez afin de rejoindre la mer Méditerranée et acheminer son pétrole en Syrie.
L’Iran, sous le coup de sanctions internationales, a vu ses exportations de pétrole s’effondrer. Le pays ne vend plus que 200 à 400 000 barils par jour contre 2,5 millions avant le rétablissement des sanctions américaines en novembre 2018. La Syrie, tout comme la Turquie et la Chine, fait partie des rares pays à acheter le pétrole iranien, en très petites quantités.
"Comment ne pas y voir une réplique des Saoudiens"
L’incident, survenu vendredi, est le premier dans lequel un navire iranien est visé depuis le début d'une série d'attaques dans le Golfe au printemps 2019. "Comment ne pas y voir une réplique des attaques du 14 septembre contre des sites majeurs de la compagnie pétrolière saoudienne Aramco ?", souligne Francis Perrin.
La destruction des installations pétrolières saoudiennes d’Aramco, bien qu’elle soit revendiquée par les rebelles houthis du Yémen, est très largement imputée par l'Arabie saoudite et ses alliés occidentaux à la République islamique iranienne. "Cela reste de l’ordre de l’hypothèse mais il aurait été très étonnant que ces attaques contre Riyad restent impunies", estime Francis Perrin.
Si, vendredi soir, l’Arabie saoudite n’avait pas encore réagi à l’attaque du tanker iranien au large de Jeddah, une enquête était en cours côté iranien sur un acte qualifié d’"irresponsable" par Abbas Moussavi, porte-parole de la diplomatie iranienne. La télévision d’État iranienne a indiqué, quant à elle, que l'incident pouvait avoir été causé par "une attaque terroriste".
Pour Francis Perrin, d’autres hypothèses peuvent être considérées. "On pense aux Saoudiens, mais aussi aux Israéliens qui ont les moyens d’une telle attaque, ou encore des groupes d’opposition iraniens, ou bien l’organisation État islamique. En l’état actuel des choses, on ne peut rien exclure", analyse le spécialiste du pétrole.
Un pas de plus vers une guerre avec l’Iran ?
Quoiqu’il en soit, l’incident ne risque pas d’apaiser les tensions déjà vives entre l’Iran d’un côté, l’Arabie saoudite et son allié américain de l’autre, réveillant les craintes d’un affrontement militaire avec l’Iran. "Un tanker, ça n’est pas un ‘petit navire’, on estime qu’il transporte un million de barils. Attaquer un tanker dans cette région qui est le cœur du pétrole mondial n’a rien d’anodin", souligne Francis Perrin.
Peut-on pour autant parler d’un acte de guerre ? "On n’y est pas encore. Mais on ne peut pas écarter ce scénario", estime Francis Perrin. D’un côté comme de l’autre, Donald Trump et les autorités iraniennes restent campés sur leurs positions mais aucun ne veut véritablement d’une guerre. Le président américain maintient une stratégie de pression maximale sur Téhéran en essayant d’anéantir l’économie iranienne et d’affaiblir la République islamique. Tandis que l’Iran tient tête aux États-Unis pour les obliger à négocier.
"Chacun pousse sa stratégie sans vouloir de guerre, mais ça n’est pas parce qu’on ne veut pas d’une guerre qu’elle ne va pas avoir lieu. Leurs stratégies mutuelles peuvent tout à fait y mener", prévient Francis Perrin. Les Saoudiens, quant à eux, ne seraient pas contre des frappes sur l’Iran, estime le chercheur, mais ils n’en ont pas les moyens tout seuls.

"Le premier mort pourrait faire casus belli"
Pour le moment, ces successions d’attaques dans le Golfe n’ont fait aucune victime. "Le premier mort pourrait faire casus belli du côté américain ou saoudien", estime Thierry Coville, chercheur à l’Iris et spécialiste de l’Iran. À Téhéran, la ligne rouge serait "une attaque contre le territoire iranien, y compris en mer, sur les plateformes pétrolières off-shore".
Une menace que Donald Trump a déjà agité mi-septembre depuis le bureau Ovale. "Il n'y a jamais eu de pays plus préparé" que les États-Unis à mener des frappes militaires", avait-il alors prévenu. "Ce serait la solution de facilité pour moi", "frapper 15 sites majeurs en Iran", "cela ne prendrait qu'une minute" et "ce serait une très mauvaise journée pour l'Iran", avait-t-il ajouté. "Mais ce n'est pas ce que je privilégie, si possible", avait admis le chef d’État.
L’instabilité de la ligne politique du président américain ne fait qu’attiser les tensions. Quelques mois auparavant, l'hôte de la Maison Blanche avait dit s’être rétracté "dix minutes avant" le lancement d’une frappe contre l’Iran qui aurait pu faire 150 victimes si le missile américain avait été lancé.