Cinq ans après la disparition de 43 étudiants dans le sud du Mexique, les familles des victimes attendent toujours la vérité et que les responsables soient punis. Le parquet général a promis de reprendre l'enquête à zéro.
Cinq années se sont écoulées depuis cette nuit du 26 au 27 septembre 2014 où ont disparu 43 étudiants de l'école de formation des maîtres d'Ayotzinapa, à Iguala, dans le Guerrero (sud du Mexique). Cinq ans durant lesquels les autorités n'ont jamais donné de version convaincante aux proches des victimes, ni puni les responsables. Le gouvernement d'Andrés Manuel Lopez Obrador – surnommé Amlo – et le nouveau parquet indépendant ont promis une reprise de l'enquête.
Lors de la nuit fatidique, plusieurs dizaines d'étudiants de l'école normale d'Ayotzinapa s'étaient rendus jusqu'à Iguala pour réquisitionner des autobus afin d'aller à Mexico, où ils souhaitaient participer à une manifestation. Arrêtés par la police, 43 jeunes ont ensuite disparu et n'ont jamais été retrouvés, une affaire qui a bouleversé la société mexicaine et suscité des critiques répétées à l'encontre du gouvernement du président de l'époque, le conservateur Enrique Peña Nieto (2012-2018).
L'enquête a notamment été entachée de nombreuses accusations d'incompétence, voire de corruption. Plus de 75 personnes arrêtées dans le cadre de cette affaire ont été relâchées, en raison d'erreurs de procédures commises par les enquêteurs, en particulier le recours à la torture pour obtenir des aveux. L'un des principaux suspects, Gildardo Lopez Astudillo, arrêté en 2015, et soupçonné d'être un des principaux responsables de l'enlèvement et du massacre présumé des étudiants, a été relâché début septembre.
Une enquête bâclée sous Peña Nieto
L'actuel président de gauche, Andres Manuel Lopez Obrador, a créé une Commission de Vérité et ordonné l'ouverture d'une nouvelle enquête. Le parquet général, désormais indépendant de l'exécutif à la suite d'une réforme judiciaire, s'est engagé à reprendre les investigations à "pratiquement de zéro".
Pour Alejandro Hope, ex-officier de renseignement et expert en sécurité, au lieu de "repartir de zéro", le bureau du procureur devrait surtout reprendre "les pistes de l'enquête qui n'ont pas été suivies à l'époque". Le spécialiste estime toutefois qu'"il y a deux éléments sur lesquels il ne semble pas y avoir de doute : les étudiants ont été enlevés par des policiers locaux et ont été remis au cartel Guerreros Unidos".
À l'époque du gouvernement de l'ex-président Peña Nieto, le parquet général, dépendant de l'exécutif, avait dévoilé sa version : les narco-trafiquants, croyant que les jeunes appartenaient à un cartel rival, les auraient tués avant de brûler leurs corps dans une décharge puis de les jeter dans le fleuve San Juan, non loin d'Iguala.
Des experts indépendants de la Commission inter-américaine des droits de l'homme (CIDH), qui ont mené une enquête indépendante, ont toutefois contesté cette version dans un rapport publié en 2015, en particulier la crémation des corps. Mais leur mandat n'ayant pas été renouvelé par le gouvernement d'Enrique Pena Nieto, ils n'ont pas pu terminer leur enquête.
"Au cours des quatre premières années de ce combat, Amnesty International a sans cesse dénoncé les tentatives de dissimulation des autorités dans l’affaire d’Ayotzinapa. Nous avons constaté les premiers efforts déployés par le nouveau gouvernement en vue de résoudre cette affaire et nous les saluons, bien qu’il reste encore beaucoup à faire", a déclaré Erika Guevara Rosas, directrice d’Amnesty International pour les Amériques, dans un communiqué.
Les familles s'accrochent au fol espoir de les retrouver vivants
Mardi 24 septembre, dans le cadre de la nouvelle enquête, des excavations ont eu lieu dans une décharge municipale à Tepecoacuilco de Trujano, à environ 15 kilomètres d'Iguala.
Lors des premières investigations, le parquet a recueilli des cendres et de petits ossements dans le fleuve et les a envoyés à un laboratoire en Autriche. Il n'a été possible d'identifier le corps que d'un seul jeune homme.
"Il n'a pas été possible de démontrer scientifiquement qu'ils sont morts", souligne Felipe de la Cruz, porte-parole des familles qui s'accrochent à l'espoir que les jeunes pourraient être en vie. "Ce que nous voulons, c'est la vérité, pour que justice soit rendue".
"Je ne sais pas si mon cœur de mère me trompe, mais je sens que mon fils n'est pas mort. Je veux le voir revenir et l'embrasser", dit Blanca Luz Nava, femme au foyer de 46 ans, qui a participé à une manifestation mercredi réunissant un millier de personnes devant le bureau du parquet.
"Cinq ans après la disparition forcée des 43 étudiants d’Ayotzinapa, les autorités mexicaines restent responsables de veiller à ce que la vérité soit révélée, que justice soit faite et que des réparations soient accordées aux victimes, leurs familles et la société", demande Tania Reneaum Panszi, directrice exécutive d’Amnesty International Mexique, dans le même communiqué.
Un autre rassemblement est prévu jeudi dans la capitale. Des manifestations de soutien doivent avoir lieu un peu partout dans le monde. À Paris, le collectif Collectif Paris-Ayotzinapa a procédé à un collage sauvage des visages des 43 étudiants dans les rues de la capitale de France.
Le vaste problème des disparitions forcées au Mexique
Dans un entretien au quotidien El Universal, la présidente de la CIDH, Esmeralda Arosamena de Troitiño, a accueilli favorablement l'engagement des autorités de reprendre l'enquête, mais constate peu d'avancées.
"Nous aimerions avoir, pour le 26 septembre, du concret de la part des autorités, quelque chose de détaillé issu de l'enquête pour trouver les responsables, mais aussi les jeunes", a-t-elle plaidé.
A los 5 años, la @CIDH expresa su solidaridad con los familiares de los 43 estudiantes desaparecidos de #Ayotzinapa y manifiesta profunda preocupación por la falta de justicia y esclarecimiento de los hechos. https://t.co/exIDvVQiIx
Esmeralda Arosemena de Troitiño (@esmeraldatroiti) September 25, 2019Une des hypothèses avancées par les enquêteurs de la CIDH était que les étudiants auraient détourné par inadvertance un autobus chargé d'héroïne à destination des États-Unis, un élément qui n'est pas apparu dans l'enquête officielle.
Amnesty International est par ailleurs préoccupée par le fait que le sort des personnes soumises à une disparition dans le pays n’ait pas été révélé. D’après les autorités, 40 000 personnes sont actuellement portées disparues au Mexique.
" Le gouvernement doit prendre toutes les mesures nécessaires pour résoudre non seulement l’affaire des 43 étudiants, mais également les affaires des plus de 40 000 personnes disparues dans le pays", appelle Erika Guevara Rosas.