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Faillite de Thomas Cook : le Brexit, un bouc émissaire trop parfait

Le Brexit a accéléré la faillite retentissante du voyagiste Thomas Cook, lundi. Mais le groupe britannique se débattait pour survivre depuis près d’une décennie.

Le poids du Brexit à venir était-il trop lourd pour les frêles épaules du Britannique Thomas Cook ? Après avoir survécu à deux guerres mondiales, une nationalisation en 1945 et une quasi-faillite en 2011, le plus ancien voyagiste du monde aurait été emporté par les conséquences de la sortie annoncée du Royaume-Uni de l’Union européenne. Telle est, en tout cas, l’impression qui se dégage de l’annonce, lundi 23 septembre, de la cessation d’activité de Thomas Cook, qui oblige Londres à organiser la plus importante opération de rapatriement en temps de paix pour les quelque 600 000 clients britanniques et européens du voyagiste.

“Je me demande si Thomas Cook rentrera dans l’histoire comme la première grande victime industrielle du Brexit”, s’interroge le politologue britannique Simon Hix sur Twitter. En mai dernier, Peter Frankhauser, le PDG suisse du groupe, reconnaissait déjà qu’il ne “faisait aucun doute” que les incertitudes autour de la sortie de l’UE lui compliquaient considérablement la tâche.

Brexit et vacances ne font pas bon ménage

Sa tâche ? Sortir Thomas Cook des dettes héritées de la fusion malavisée, en 2007, avec son concurrent britannique My Travel, un groupe chroniquement dans le rouge. Pour ce faire, Thomas Cook avait besoin de touristes, surtout Britanniques, qui sont sa principale clientèle. Mais avec un Brexit qui n’en finit pas de peser au-dessus de la tête des sujets de Sa Gracieuse Majesté, “beaucoup de nos clients ont préféré reporter leurs vacances à plus tard”, avait expliqué Peter Frankhauser.

Message reçu cinq sur cinq par les actionnaires de Thomas Cook. Ils ont demandé, en septembre, à la direction du groupe de trouver 200 millions de livres (226 millions d’euros) pour assurer les arrières en cas de mauvaise fin d’année à cause de l’histoire sans fin du Brexit. C’est le refus des banques de prendre le risque de prêter des fonds supplémentaires qui a signé l’arrêt de mort du voyagiste.

Le Brexit a aussi pesé sur le pouvoir d’achat à l’étranger des Britanniques. La livre, tirée vers le bas par des marchés financiers inquiets face au risque d’une sortie de l’UE sans accord, a perdu de sa superbe face au dollar et à l’euro. Conséquence : une partie des touristes britanniques ont préféré voyager à l’intérieur des frontières nationales, contribuant à la baisse des réservations auprès de Thomas Cook, qui propose essentiellement des vacances à l’étranger.

C’est encore le Brexit qui explique, en partie, le refus du gouvernement de voler au secours du voyagiste en péril, explique le quotidien The Guardian. L’État avait déjà sauvé Thomas Cook par deux fois : en 1945, il a nationalisé le voyagiste, et en 2011, les banques ont été priées de renflouer le groupe pour lui éviter la faillite. Mais cette fois-ci, le gouvernement de Boris Johnson a préféré s’en laver les mains, malgré les 9 000 emplois en jeu sur le sol national et un rapatriement qui pourrait coûter plusieurs centaines de millions d’euros.

L’incertitude entourant les conditions de la sortie de l’UE et l’effort financier que Londres risque de devoir fournir pour réduire l’impact négatif du Brexit ont probablement poussé le gouvernement à passer son tour, cette fois-ci, estime le Guardian. Pourtant, l’un des principaux actionnaires de Thomas Cook, la Royal Bank of Scotland (RBS) aurait facilement pu être convaincue de remettre de l’argent au pot puisqu’elle est détenue à 60 % par l’État.

Victime du climat et d’Internet

On aurait tort, cependant, de tout mettre sur le dos du Brexit. Il n’a été que l’une des gouttes qui ont fait déborder le vase des dettes. Thomas Cook est aussi une victime du climat. L’été caniculaire de 2018 - notamment en Espagne, l’une des destinations phares du voyagiste - a convaincu beaucoup de touristes britanniques à préférer la fraîcheur de la campagne anglaise, rappelle la BBC. C’est d’ailleurs l’une des principales raisons pour lesquelles le voyagiste avait dû revoir ses résultats financiers à la baisse par deux fois en 2018.

Il en va de même des prix du pétrole, qui ont connu une hausse significative ces derniers mois. Une très mauvaise nouvelle pour le voyagiste qui opère, en effet, une flotte d’une centaine d’avions et a subi de plein fouet l’augmentation des tarifs du carburant.

Autant de facteurs sur lesquels Thomas Cook n’a eu que peu de prise. Mais il a, en revanche, échoué à prendre le virage du numérique et trouver la parade à l’essor de la concurrence en ligne. “Les 500 points de vente à travers le Royaume-Uni - qui ont jadis fait la fierté du réseau Thomas Cook - sont devenus un fardeau financier face aux sites de réservation en ligne qui n’ont pas de tels frais”, souligne le Financial Times.

Tous opérateurs en sursis ?

Internet a fragilisé tout le modèle économique du voyagiste historique. “Thomas Cook réserve des chambres d’hôtel en début d’année pour la période estivale, ce qui leur permet de négocier des prix bas, mais ne leur offre pas la même flexibilité que les sites internet capables d’adapter leur offre à la dernière minute en fonction des modes du moment”, explique le quotidien financier britannique. Les clients ont ainsi pris l’habitude de traquer ces bons plans qui sont le produit d’appel de tous les sites de réservation en ligne.

La spécialité de Thomas Cook - proposer des offres combinant les vols et les logements - a aussi perdu beaucoup de son attrait à une époque où les internautes peuvent aisément concocter eux-mêmes leur menu en cherchant les vols dégriffés, ou en pesant le pour et le contre d’un hôtel par rapport à un logement du type Airbnb.

La faillite du groupe britannique fait pour l’instant les affaires de son concurrent allemand TUI, qui devient du jour au lendemain le numéro 1 incontesté du secteur. Mais TUI s’en sort mieux uniquement grâce à son faible endettement, souligne le site allemand spécialisé Travelnews. Mais il souffre tout autant de la concurrence des sites Internet de voyage et la chute de la maison Thomas Cook n’est, pour Travelnews, que “le début d’une histoire qui risque de mal finir pour tous les acteurs du secteur”.