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Pourquoi le terme "féminicide" interroge le droit en France

Alors que s’ouvre mardi le Grenelle des violences conjugales à Paris, la question de l’introduction du terme “féminicide” dans le Code pénal, défendue par les associations féministes, divise les spécialistes du droit.

Si le mot est sur toutes les lèvres ce mardi 3 septembre, jour d’ouverture du Grenelle des violences conjugales à Paris, le terme "féminicide" n’a aucune existence juridique en France. Initialement porté par les associations féministes, le mot circule aujourd’hui dans les couloirs de l’Élysée et s’étale à la une des journaux. Désormais, on lui accole le triste décompte - 101 depuis le 1er janvier 2019 - du nombre de meurtres de femmes perpétrés par leur compagnon ou ex-conjoint.

Le mot a gagné du terrain au sein même des tribunaux. Fin juillet, la procureure d’Auch (Gers) Charlotte Beluet parle officiellement d’un "probable féminicide", lors d’une conférence de presse, après un nouveau meurtre de femme par son conjoint. Une déclaration "rarissime", souligne Le Monde .

Si l’emploi du terme par un magistrat peut surprendre, la procureure le comprend aisément. "Féminicide, c’est teinté de féminisme, de militantisme. Nous, en tant que procureurs, ont doit être objectifs, neutres, marqués par rien d’autre que le droit. Je ne suis ni militante, ni féministe, mais si 94   hommes avaient été tués par leur femme depuis le début de l’année, peut-être que la réaction du corps social aurait été plus évidente   ?", remarque-t-elle auprès du quotidien.

Une notion reconnue en Amérique latine

Mais si la notion de féminicide n’existe pas dans le Code pénal, elle est bien présente en droit français. Elle a ainsi été ajoutée au Vocabulaire du droit et des sciences humaines par la Commission générale de terminologie et de néologie, en 2014. Un pas devrait-il être franchi en l’inscrivant désormais dans la législation française   ? Des associations féministes le réclament depuis déjà plusieurs années . Plus récemment, une cinquantaine de proches et membres de famille de victimes de féminicides demandaient, le 19 juillet, "l’inscription de ce terme dans le Code pénal, en tant que crime machiste et systémique", dans une tribune publiée sur le site de Franceinfo.

À l’étranger, plusieurs pays, notamment d’Amérique latine, ont déjà introduit ce terme dans leur législation. Le Costa Rica a été le premier, en l’inscrivant dès 2007 . D’autres pays comme l’Argentine , le Guatemala ou encore le Mexique prévoient une circonstance aggravante en cas de crime commis à raison de l’identité de genre de la victime. De même, en Europe, l’Espagne et l’Italie ont adopté des lois renforçant les peines en cas de violences conjugales.

Les violences conjugales déjà inscrites dans le droit

En France, la question semble plus sensible. En 2016, la Commission nationale consultative des droits de l’Homme a estimé dans son avis sur les violences contre les femmes que l’introduction du terme féminicide "comporterait le risque de porter atteinte à l’universalisme du droit et pourrait méconnaître le principe d’égalité de tous devant la loi pénale, dès lors qu’elle ne viserait que l’identité féminine de la victime". Dans la foulée, l’instance avait toutefois encouragé l’usage de ce mot "à la fois sur la scène internationale dans le langage diplomatique français, mais aussi dans le vocabulaire courant, en particulier dans les médias".

Trois ans plus tard, les magistrats semblent toujours aussi réticents à l’idée de faire entrer le "féminicide" dans le Code pénal. Contactée par France 24, la secrétaire nationale du syndicat de la magistrature, Anne-Sophie Wallach, souligne que les "infractions liées aux violences conjugales sont déjà prises en compte par les lois actuelles".

Dans le détail, l’article 221-4 stipule que "le meurtre est puni de la réclusion criminelle à perpétuité lorsqu’il est commis par le conjoint ou le concubin de la victime ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité". Enfin, l’article 132-80 souligne que "la circonstance aggravante (...) est également constituée lorsque les faits sont commis par l’ancien conjoint, l’ancien concubin ou l’ancien partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité".

Un caractère excluant ?

"La difficulté réside dans le fait qu’il y a plusieurs acceptions du terme ‘féminicide’", souligne encore la magistrate. Car faut-il prendre uniquement en compte les meurtres intimes perpétrés par un conjoint ou un ex-conjoint ou ceux impliquant une personne sans lien avec la victime   ?

Autre obstacle, introduire pénalement la notion de féminicide pourrait aussi s’avérer réducteur, selon Anne-Sophie Wallach. Si elle reconnaît "l’utilité symbolique” d’une telle mesure, la magistrate estime qu’en “spécifiant le genre, on peut ainsi exclure d’autres cas de figures, comme les violences visant les transgenres ou au sein de couples de lesbiennes..."

Une violence structurelle

Certains estiment encore qu’il faudrait regarder chaque situation au cas par cas. Interviewée l’an dernier dans Le Monde après le meurtre d’Alexia Daval, la psychiatre et médecin légiste Alexia Delbreil estimait que le terme féminicide ne suffisait pas toujours "à définir l’homicide au sein du couple où il existe d’autres enjeux".

Reste le caractère systémique de ces violences de genre, difficilement contestable. Introduire une telle notion dans la législation permettrait ainsi "une prise de conscience" de cet ancrage structurel, comme l’estimait déjà en 2017, l’enseignante-chercheuse, Kiteri Garcia, dans une tribune publiée sur le site The Conversation . Pour rappel, une femme mourrait encore tous les trois jours , battue par son conjoint, en 2018.